Nous
avons décidé de parler de la charité fraternelle. Et bien que nous
ne nous attachions point à l’actualité, le contexte des vagues
migratoires que l’Europe subit particulièrement ces temps-ci nous
paraît propice au sujet que nous allons entreprendre.
On
entend beaucoup dire aux Chrétiens, que ceux-ci se doivent d’être
tolérants et accueillants, particulièrement lorsqu’il s’agit
d’individus à tout le moins hostiles. Pour appuyer ce propos,
certains se réfèrent aux préceptes mêmes que le Christ a
enseignés : il faut aimer ses ennemis. Si l’on tergiverse,
alors ils n’hésiteront pas à rappeler l’image archétypique du
Chrétien qui tend la joue. Il est remarquable que les plus
antichrétiens fassent tant de cas de ces enseignements quand le
contexte leur paraît favorable. Alors ? Faudrait-il se laisser
envahir sous prétexte de charité ?
Pour
ce qui est de la tolérance, nous croyons en avoir assez dit dans un
précédent article. Maintenant, il nous faut expliquer en quoi être
charitable ne participe en rien de la mollesse ni de la bonasserie.
♣
La
charité, par essence, est l’amour sans limite de Dieu. Pour le
Chrétien, il n’existe point d’autre amour véritable qu’ordonné
à celui-ci. Voilà pourquoi Notre-Seigneur Jésus-Christ nous
désigne la charité divine comme premier commandement, c’est-à-dire
en tant qu’il résume la Loi et les Prophètes ; puis, la
charité fraternelle comme second commandement, semblable au premier,
et qui en provient comme de sa source : « Tu aimeras ton
prochain comme toi-même. » (Marc, 12, 31.)
Qu’est-ce
que signifie cette parole, « aimer comme soi-même » ?
Sans doute, il s’agit de désirer et d’agir en vue du plus grand
bien pour notre prochain, bien qui n’est autre que le salut
éternel. Tout comme nos aspirations se dirigent vers le Ciel, étant
la plus heureuse destination, il est normal de souhaiter la pareille
aux êtres que l’on aime. Or, l’économie du salut personnel
n’est pas un fleuve tranquille ni un chemin facile. Les
condamnations, les peines, les tribulations sont inhérentes à la
marche du pauvre pécheur. Son plus grand malheur consisterait
précisément à n’avoir nul ami pour le combattre, l’amender, le
secourir, ou quiconque qui aurait le courage de lui mettre en face le
mal à détruire. L’amour du Chrétien est ardent, combatif :
il produit la flamme dans le cœur du juste, mais fait bouillir de
rancœur les méchants.
Une
question vient à se poser1 :
qui peut bien être notre prochain ? En un sens, tout homme est
potentiellement2
notre prochain, car nous sommes tous issus du même Père terrestre
et nous avons le même Créateur et Père céleste. Si l’on veut
aller plus loin encore, il faut ajouter que nous avons un unique
Rédempteur qui a souffert pour l’humanité entière et l’a
rachetée sans distinction. Ce qui signifie, ainsi que seule
l’enseigne la doctrine chrétienne, que notre ennemi est aussi
notre prochain, et il suit un devoir de charité qu’il nous faut
lui rendre :
Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi. Mais Moi Je vous dis : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécutent et qui vous calomnient ; afin que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les Cieux, qui fait lever Son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. (Matthieu, 5, 43-45.)
De
là, les contempteurs de la Religion affirmeront que les Chrétiens
ne peuvent pas rejeter des envahisseurs d’autres religions ou
cultures, et quand bien même nous n’arriverions pas à les
convertir, nous devrions conserver une attitude bienveillante et
désarmée. Un tel langage d’hypocrites, bien sûr, doit mettre en
garde contre une manœuvre insidieuse, parce que les mêmes
n’accepteraient jamais la conversion des étrangers, et qu’ils
feraient tout pour l’en empêcher. Ce que ces mauvais gens visent
est simplement le chaos. Mais alors, où se situe donc l’argument
fallacieux ?
Si
la charité nous dis que quiconque est notre prochain, le bon sens,
quant à lui, s’empresse d’ajouter que tout le monde ne le peut
être au même degré. C’est à bon droit qu’il existe des degrés
de priorité qui hiérarchisent l’amour du prochain. Qui pourrait
s’entendre dire sans indignation, à moins d’être un fieffé
idéologue ou menteur, qu’il doit aimer son épouse et ses enfants
autant que le pauvre hère à l’autre bout du monde ? Il nous
faut maintenant distinguer deux cas : le premier, où l’amour
de tel prochain ne s’oppose pas avec celui de tel autre ; le
second, où cette opposition est présente.
♣
Dans
le premier cas, il se peut que l’on soit amené à donner l’aumône
à un pauvre, peu importe sa condition, que l’on ne connaît que de
vue, et qui devient notre prochain par occasion. Cela correspond à
l’histoire du bon samaritain que nous raconte Jésus, lequel porta
secours à un homme blessé sur le bord du chemin. Il le vit, fut
touché de compassion, et en prit soin. Certainement avait-il autre
chose à faire de son temps et de son argent, mais en comparaison de
la détresse de l’homme accidenté il se sacrifia de bon cœur.
Vraiment, nous voyons que la charité fraternelle est une
abnégation ! un choix décisif entre le bien essentiel du
prochain et sa propre complaisance superficielle ou vanité.
Or,
fut-il un jour plus grande et plus parfaite démonstration de charité
fraternelle que celle enseignée par Notre-Seigneur Jésus-Christ
lors de Sa Passion ? Assurément pas. Lui-même a accompli le
mystérieux précepte qu’Il avait adressé à Ses disciples :
« Vous avez appris qu’il a été dit : Œil pour œil,
et dent pour dent. Mais Moi Je vous dis de ne point résister au
méchant ; mais si quelqu’un t’a frappé sur ta joue droite,
présente-lui encore l’autre. » (Matthieu, 5, 38-39.)
Lui-même n’a point résisté à Ses ennemis et Il S’est livré à
eux pour tous nous sauver. Cependant, entre nous et le Christ il y a
une différence de taille : Notre-Seigneur ne S’est pas
défendu contre Ses ennemis car une raison plus importante Le
guidait, l’accomplissement de la Volonté divine, par conséquent,
de la Rédemption. Pouvons-nous alors nous considérer dans la même
situation que Jésus-Christ ? Avant de répondre à cette
question, prenons un peu de recul.
Le
terme ennemi se prête à une distinction opportune, en
effet, nous désignons sous ce terme à la fois nos ennemis
personnels ou subjectifs, qui ne sont pas méchants en tant que tels,
et ceux qui persistent à braver la Justice de Dieu. Nous savons
qu’il faut se réconcilier avec les premiers, car cela est
possible, et nous devons leur pardonner3
s’ils ont commis des torts à notre encontre, comme ils le doivent
réciproquement :
Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère, et ensuite tu reviendras présenter ton offrande. Accorde-toi au plus tôt avec ton adversaire, pendant que tu es en chemin avec lui, de peur que ton adversaire ne te livre au juge, et que le juge ne te livre au ministre de la justice, et que tu ne sois mis en prison. » (Matthieu, 5, 23-25.)
Ici,
l’humilité est la vertu supplétive de la charité. Toutefois,
comment aimer les ennemis de Dieu même ?
Lorsque
Notre-Seigneur Jésus-Christ nous commande d’aimer nos ennemis, Il
entend par là aussi les méchants. Ce que nous pouvons et devons
faire, c’est de prier pour eux, pour leur conversion ; telle
est, trop souvent, la seule chose dont nous sommes capables, car ils
réduisent toutes les autres tentatives de notre charité à néant.
Néanmoins, ne devrions-nous point résister à leurs mauvais
desseins, s’ils nous incitent au péché et tentent de nous
détourner de Dieu ? Bien sûr, ce que Notre-Seigneur a voulu
dire, c’est qu’il vaut mieux se détacher du superficiel plutôt
que de l’essentiel : se prendre un coup, perdre sa tunique,
cela est plus avantageux que d’accroître la hargne de l’ennemi,
et de se risquer ainsi au seuil d’un cercle vicieux. Parfois, il
arrive que nos ennemis en veulent à notre vie et, qu’à l’instar
de notre Maître, il nous faut la leur céder. En cela, l’exemple
des Martyrs doit nourrir notre méditation. Ceux-ci ont préféré
perdre leur vie charnelle, pour sauver leurs Âmes, et gagner la Vie
céleste. Parvenir à une telle extrémité du renoncement de
soi-même, témoigner ainsi du plus profond héroïsme, cela fut
cause d’une prodigieuse fécondité dans l’Église ! Parce
que la confusion des méchants fut portée à son comble, défaits de
leurs armes et de leurs ressorts inefficaces, il y eut un grand
nombre de conversions de toutes parts. La violence des persécuteurs
se trouva effectivement ébranlée, puis vaincue, par une foi plus
violente encore, accompagnée d’un acharnement inhumain
outrepassant toute raison.
Aboutir
au Martyr, cependant, n’est pas une affaire de goût, mais consiste
en un dilemme forcé qui se manifeste selon le Plan de Dieu. En cette
question, bien plus souvent, notre situation équivaut au second cas
qui a été mentionné précédemment, c’est-à-dire à une
opposition dans nos devoirs de charité. Notre vie demeure précieuse,
et sans la marque expresse de la Volonté divine, nous n’avons pas
le droit de l’abandonner : sinon, nous serions coupable d’un
grave manque de charité envers nos prochains. Un Père de famille ne
doit pas se faire scrupule d’abattre le voleur ou bandit pénétrant
en sa maison : il défend prioritairement les siens. La prière
du bon Chrétien sera la preuve de son amour pour le malheureux
ennemi qu’il a terrassé. S’il s’était laissé tuer, alors
qu’aucune raison transcendante ne l’obligeait, celui-ci
aurait commis une sérieuse méprise envers les êtres chers dont il
est responsable. Toute la résolution du problème incombe au respect
de son propre devoir d’état.
Pour
revenir à l’exemple du pauvre dans le besoin, la charité
fraternelle nous oblige à toujours avoir compassion vis-à-vis des
miséreux et à donner l’aumône de ce que l’on peut. En
revanche, accorder plus qu’il ne faut en ressources, comme en temps
ou en argent, c’est ne pas tenir compte de ses priorités, et
priver nos plus proches de leurs besoins nécessaires : ainsi,
l’on risque d’approcher l’injustice en même temps que de
quitter la charité.
♣
De
tout ceci que pourrions-nous conclure ? Lorsqu’on nous assène
qu’il ne faut pas nous défendre face à ce qu’il convient
d’appeler une invasion étrangère, quoiqu’en apparence non
armée, sous le prétexte que ces étrangers fuient la guerre et la
misère, nous devons avoir souvenance des difficultés propres à
notre pays. Avant de nous soucier du monde entier, notre famille
passe en premier, puis notre ville, notre région, notre pays, cela
est naturel. Or, nonobstant l’aspect économique, en portant
secours aux démunis étrangers, c’est autant de secours en moins
pour les démunis nationaux. Hélas ! Quand on pense que l’on
accorde un soutien permanent, une nationalité plus que théorique, à
cause d’un trouble temporaire, on comprend que les barrières
assurant une charité viable et véritable ont été détruites.
En
ce contexte, un passage des Évangiles nous semble parfaitement
édifiant :
Et voici qu’une femme chananéenne, venue de ces contrées, s’écria, en Lui disant : Ayez pitié de moi, Seigneur, Fils de David ; ma fille est affreusement tourmentée par le démon. Mais Il ne lui répondit pas un mot. Et les disciples, s’approchant de Lui, Le priaient, en disant : Renvoyez-la, car elle crie derrière nous. Il répondit : Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. Mais elle vint, et L’adora, en disant : Seigneur, secourez-moi. Il répondit : Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens. Mais elle dit : Oui, Seigneur ; mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Alors Jésus lui répondit : Ô femme, ta foi est grande ; qu’il te soit fait comme tu le veux. Et sa fille fut guérie à l’heure même. (Matthieu, 15, 22-28.)
Notre-Seigneur
Jésus-Christ est venu dans le monde en tant que Messie des Juifs, et
le premier aspect de Sa mission, à savoir l’enseignement de la
vérité, fut circonscrit au peuple élu, ce jusqu’à l’heure de
Sa Passion rédemptrice qui justifia la réunion de l’humanité
dans le bercail de l’Église. Avant cela, Jésus-Christ fait bien
la distinction des priorités, en comparant l’étrangère aux
chiens qui n’ont pas le droit au « pain des enfants ».
Les sots contemporains s’exclameraient sans doute que
Notre-Seigneur était raciste. Si telle est la vérité, alors il
serait bon et naturel d’être raciste, ce qui, en l’occurrence,
signifierait préférer sa race, sa patrie, sa famille à toutes les
autres. Seulement, il n’y a que les imbéciles pour user d’un
terme aussi douteux, inconstant et fort peu utile.
La
morale de l’histoire, c’est que l’humilité de la chananéenne
est la véritable compréhension du principe de la charité
fraternelle : celle-ci ne demande pas le « pain des
enfants », c’est-à-dire l’essentiel, mais les « miettes »
dont les enfants n’ont pas le besoin, à savoir l’excédent, le
superflu. Ainsi, lorsqu’un pays se porte bien, que le peuple est
sagement gouverné, l’hospitalité apparaît toujours comme une
règle d’or, et la charité s’exporte aisément, dépassant les
limites du territoire, marchant effectivement vers l’universalité.
Pour la Vérité !
Lars Sempiter.
1. Luc,
10, 29.
2. Nous
disons potentiellement, parce que nous ne pouvons
connaître tous les hommes particulièrement. Mais celui qui vient à notre connaissance, que nous pouvons identifier à un individu précis,
celui-là devient actuellement ou effectivement notre prochain. Le
terme de prochain, en l’occurrence, n’est pas un
concept éthéré, il correspond à une réalité pratique.
3. Nous entendons
au sens de pardonner effectivement, c’est-à-dire que ceux à qui
l’on pardonne font, au préalable, état de leur disposition à
demander pardon. Cela ne peut s’appliquer aux méchants ou aux
pécheurs impénitents, parce qu’avec ceux-ci il n’y a pas de
terrain d’entente, à savoir la Justice de Dieu.
Très intéressant, bien que la formule "aime ton prochain" accepte déjà cette idée qui est de l'ordre du bon sens.
RépondreSupprimerLe passage des Évangiles cité est en effet une bonne illustration de ce principe.
La charité repose sur un ordre, une hiérarchie qui, bien que vilipendée par les plus confus de nos contemporains, garantit l'équilibre des relations entre les Hommes, au sens le plus large.
Merci pour votre commentaire, je suis heureux que le passage des Evangiles puisse éclaircir le sujet, il me paraissait en effet propice et tout à fait saisissant.
SupprimerTrès bien écrit et la justesse de vos propos ne peuvent que nous convaincre!
RépondreSupprimerContinuez comme cela Lars Sempiter
Merci ! Je vais tâcher de persévérer.
Supprimer