II. La
physique aux confins de la métaphysique
Nous
avons vu dans la première partie en quel sens la métaphysique
influence la physique, c’est-à-dire qu’à la conception positive
de la théorie physique s’ajoute une compréhension de nature
métaphysique, qui est la classification naturelle. Nous allons
toujours étudier cette articulation, mais désormais du point de vue
de la métaphysique. Ainsi, qu’en est-il de l’influence de la
physique en métaphysique ?
On
s’intéressera tout d’abord aux implications du phénoménalisme,
en se demandant si une préméditation ne conduit pas Duhem à
développer un système physique favorable à une métaphysique
spécifique ou à ses convictions religieuses. On s’étendra aussi,
pour compléter la question, à l’aspect historique de l’œuvre
duhémienne. Ensuite, nous verrons qu’en cette œuvre se peut
découvrir la trace d’une apologétique, pour ce faire, on
cherchera suivant trois perspectives différentes : En premier,
comment le phénoménalisme peut-il sans se renier, donner lieu à
une apologétique ; secondement, et dans la continuité du
premier chapitre, on abordera l’apologétique historique ;
pour en dernier lieu, montrer la présence d’une apologétique
métaphysique fondée sur la classification naturelle ‒
c’est-à-dire l’aspect métaphysique de la philosophie
scientifique duhémienne, lequel est le prolongement du
phénoménalisme.
Par
la suite, nous traiterons dans les deux derniers chapitres un point
essentiel de l’articulation duhémienne entre physique et
métaphysique. Il s’agira d’éclaircir le lien que Duhem
entrevoit entre sa philosophie de la physique et la cosmologie. Nous
expliciterons alors en quel sens la cosmologie dépend de la
physique, pour finalement concevoir l’idée de métaphysique de la
science, rendue possible à travers la notion d’analogie dont Duhem
fait usage. Après avoir précisé les conditions et les ressorts des
procédés analogiques, nous achèverons sur les considérations que
nous inspire l’analogie concrète que Duhem pressent entre son
système physique et la cosmologie d’Aristote.
La
foi catholique de Duhem est un sujet qui, selon toute vraisemblance,
ne doit pas intéresser le physicien ni les idées qu’il exprime
sur sa science. Pourtant, on pourrait se demander si cette foi n’a
pas eu quelque conséquence sur l’élaboration du système physique
de notre savant. L’article « Physique de croyant », que
Duhem publie en 1905, aborde largement un tel problème : notre
auteur y discute lui-même de l’influence présomptive de ses idées
religieuses sur la nature de ses conceptions scientifiques et
philosophiques. Il s’agit en fait d’une réponse à un article
d’Abel Rey, « La philosophie scientifique de M. Duhem1 »,
publié un an plus tôt. Celui-ci, après avoir résumé avec finesse
les grandes lignes de l’œuvre duhémienne, s’attache à montrer
que la manière qu’a Duhem de voir la physique est en réalité une
métaphysique de la science. Abel Rey a pourtant bien compris que le
phénoménalisme duhémien se veut positif, et qu’il refuse toute
confusion entre physique et métaphysique ; cependant, d’après
lui, ce n’est que pure illusion : « Il semble bien que
M. Duhem a succombé à la tentation commune : il a fait de la
métaphysique. Il a eu une idée de derrière la tête, une idée
préconçue sur la valeur et la portée de la science, et sur la
nature du connaissable2. »
Et d’ajouter aussitôt que « cela était tout à fait
légitime », car, vraisemblablement, il n’est pas possible
pour Abel Rey de rendre la physique autonome de quelque préjugé
métaphysique.
Qu’est-ce
donc qui amène Abel Rey à une telle interprétation de la pensée
duhémienne ? Après avoir usé de larges citations de Duhem
témoignant d’un retour de la physique aux conceptions
aristotéliciennes, Abel Rey pense établir que « la nouvelle
physique de la qualité3 »
ne peut se passer des idées métaphysiques du péripatétisme. En
effet, bien que Duhem essaie de marquer les différences qui
persistent entre la nouvelle physique et la métaphysique du
Stagirite, Abel Rey relève leur accord fondamental sur une hypothèse
indéniablement métaphysique. Si toutes deux ont reçu le nom de
physique de la qualité4
‒ justement par opposition aux systèmes du mécanisme et de
l’atomisme, qui postulent que toute qualité peut se réduire à
une quantité ‒ leur point commun est donc qu’elles s’accordent
sur la pertinence de la catégorie qualitative. La physique moderne
ne prétend pas expliquer les phénomènes, mais simplement les
représenter, or « il n’en reste pas moins, écrit Abel Rey,
que M. Duhem affirme l’irréductibilité du qualitatif au
quantitatif, la nécessité d’un certain nombre de commencements
absolus dans les propriétés physiques, de principes donnés, en
eux-mêmes occultes et inconnaissables5 ».
Ainsi, Duhem qui reprochait au mécanisme et à l’atomisme de se
fonder sur un système métaphysique ‒ ou au moins sur une
hypothèse révélant la nature de la réalité matérielle ‒ en
viendrait à faire de même, par la supposition de l’existence de
qualités intrinsèques, et donc, selon Abel Rey, d’ « une
multiplicité d’essences qualitatives distinctes comme
constituantes de l’univers6 ».
La
conception qu’a Duhem de la physique s’écarte aussi du mécanisme
pour se diriger vers un certain scepticisme : à savoir, le
phénoménalisme duhémien en ce qu’il a de plus apparent, la
liberté ‒ ou l’arbitraire ‒ du physicien dans le choix de ses
hypothèses et théories ne pouvant qu’approximer l’expérience.
En revanche, cela ne le rattache pas au péripatétisme, et
déconcerte par là Abel Rey. Alors que Duhem lui-même se défend
d’un scepticisme absolu, en exigeant des théories qu’elles ne
soient pas simplement pratiques mais qu’elles tendent à une unité
toujours plus compréhensive, Abel Rey ne se laisse pourtant pas
convaincre :
La
scolastique de M. Duhem s’achemine malgré tout vers l’idée
d’une science, simple discours commode, entre beaucoup d’autres
également possibles, pour guider notre action sur l’univers. Et
pour qu’elle en soit différente, nous ne voyons guère en fin de
compte que la volonté de son auteur7.
Qu’essaie
de dire Abel Rey ? n’est-ce pas que les tendances
contradictoires qui animent l’œuvre de Duhem peuvent s’expliquer
et trouver une source commune dans la volonté partiale de celui-ci ?
Et, pour résumer cette philosophie originale, tout en affermissant
son unité, il en conçoit pareille formule :
Dans
ses tendances vers une conception qualitative de l’univers
matériel, dans sa défiance vis-à-vis d’une explication complète
de cet univers par lui-même, telle que la rêve le mécanisme, dans
ses répugnances plus affirmées que réelles, à l’égard d’un
scepticisme scientifique intégral, elle est la philosophie
scientifique d’un croyant8.
Il
ne paraît pas aisé de connaître ce qu’entend précisément Abel
Rey par ce terme de croyant, surtout à la première
lecture. À nul moment de sa démonstration, il ne fait référence
aux convictions religieuses de Duhem, sauf, selon toute apparence, en
ce passage qui conclut l’article. Mais il est possible, par une
lecture plus minutieuse, de comprendre où il veut en venir.
L’interprétation d’Abel Rey ne peut rendre compte de la
cohérence de la philosophie scientifique de Duhem. De fait,
plusieurs tensions en émergent : Pourquoi Duhem critique-t-il
le mécanisme, l’accusant de ne pas être un système pleinement
positif, et lui reprochant ses prétentions explicatives et
métaphysique, tandis que notre physicien en fait autant pour fonder
son énergétique ? Pourquoi refuse-t-il finalement le
scepticisme contemporain, après en avoir partagé les analyses et
avoir tant contribué à son essor ? Les difficultés cessent,
au point de vue d’Abel Rey, si l’on se munit de considérations
psychologiques adéquates : l’œuvre de Duhem est conditionnée
par ses croyances religieuses, voilà pourquoi elle n’est pas
toujours conséquente. Elle se rallie au scepticisme lorsqu’il
s’agit d’attaquer le mécanisme, et rejoint le péripatétisme
afin d’appuyer l’assise d’une métaphysique spiritualiste. La
philosophie scientifique de Duhem serait celle d’un croyant, parce
qu’elle résulte de la stratégie ‒ consciente ou pas ‒ d’un
croyant.
Quoi
qu’il en soit pour la compréhension de ce texte, Duhem ‒ et
semble-t-il la littérature secondaire9
‒ ne s’y est pas trompé, car il répondra explicitement quant à
l’influence supposée de ses croyances sur la portée de son œuvre
scientifique et philosophique. Avant tout, nous allons revenir
quelque peu sur l’interprétation d’Abel Rey, car le point
fondamental de son argumentation en faveur d’une métaphysique de
la science duhémienne, c’est-à-dire l’hypothèse métaphysique
de l’irréductibilité de la qualité à la quantité, ne nous
paraît pas solide. En effet, dans La Théorie physique,
Duhem explique que le physicien qui fonde sa physique sur un système
métaphysique n’a pas de mal pour reconnaître si une propriété
physique est simple ou complexe, si elle peut ou non être décomposée
en propriétés plus élémentaires : la métaphysique dont il
use le lui indique. Au contraire, le physicien tel que Duhem le
conçoit, n’affirme ni ne nie qu’il y ait des qualités
intrinsèques et irréductibles :
Le
physicien qui cherche à rendre ses théories autonomes et
indépendantes de tout système philosophique attribue aux mots :
qualité simple, propriété première, un sens tout relatif ;
ils désignent simplement pour lui une propriété qu’il lui a été
impossible de résoudre en d’autres qualités10.
À
l’instar de la chimie, que Duhem prend pour exemple, le physicien
est amené à considérer une qualité comme première et
irréductible seulement à titre provisoire, parce que tous ses
efforts pour la décomposer ont jusqu’ici échoué. C’est bien
l’expérience et non une quelconque hypothèse métaphysique qui
permet d’arriver à une telle conception ; laquelle ne
conteste d’ailleurs pas la tendance de la physique classique à
réduire la qualité à la quantité, et dont le mécanisme est le
plus illustre avatar. Si tel est bien le cas, pourquoi Duhem lui-même
considère-t-il la physique moderne comme une physique de la qualité,
une physique qui conduirait à un retour inattendu de certaines idées
d’Aristote ? C’est que, par ses expériences, la physique
découvre de nouveaux phénomènes ; et s’il lui arrive
d’établir le rapprochement entre deux propriétés jusque-là
distinctes, elle est le plus souvent contrainte à en définir de
nouvelles :
De
ces deux mouvements contraires dont l’un, réduisant les qualités
les unes aux autres, tend à simplifier la matière, dont l’autre,
découvrant de nouvelles propriétés, tend à la compliquer, quel
est celui qui l’emportera ? Il serait imprudent de formuler à
ce sujet une prophétie à longue échéance. Du moins, semble-t-il
assuré qu’à notre époque, le second courant, beaucoup plus
puissant que le premier, entraîne nos théories vers une conception
de la matière de plus en plus complexe, de plus en plus riche en
attributs11.
On
pourrait remarquer, à ce sujet, qu’Abel Rey n’avait pas lu alors
La Théorie physique, mais s’était contenté de
considérations disséminées dans les précédents articles et
livres de Duhem12.
Pourtant, cela ne doit pas l’excuser d’un jugement hâtif, le
pire étant qu’il a lui-même cité un passage particulièrement
explicite sur cette question13,
tiré de « L’évolution des théories physiques du XVIIᵉ
siècle jusqu’à nos jours ». À notre avis, Abel Rey a cédé
un peu vite à l’inclination de sa pensée, selon laquelle derrière
chaque vision de la science se cache des vues métaphysiques :
C’est
le sort commun de tous les savants : ils se piquent d’être
uniquement et simplement des savants, ils croient qu’ils n’ajoutent
rien aux faits, qu’ils n’interprètent pas la réalité, qu’ils
demeurent toujours entièrement positifs. Et tous de prétendre que
ceux qui ne professent pas les mêmes opinions qu’eux font de la
métaphysique14.
Et
comme la physique que conçoit Duhem se porte semble-t-il en faveur
d’une métaphysique aristotélicienne, que, de surcroît, celui-ci
concilie plutôt bien ses convictions scientifiques et religieuses ;
tout cela, convenons-en, n’a certes pas dû aider Abel Rey à
réviser son jugement.
Ce
qu’Abel Rey a suggéré en son temps, d’autres commentateurs
l’ont également fait plus récemment. M. Hodo-Abano Awesso, d’une
manière similaire, semble entendre que la philosophie scientifique
de Duhem est le prolongement d’une doctrine métaphysique15 :
« Notre analyse découvre un Duhem pris à rebours en ce que,
contrairement à ce qu’il pense, sa position anti-essentialiste,
qui ordonne sa méfiance par rapport à la cosmologie, est,
paradoxalement, l’expression même d’une philosophie de la
nature16. »
Le fait que Duhem ne se soit pas aperçu de la valeur métaphysique
de son phénoménalisme ‒ caractérisé ici par une « position
anti-essentialiste » ‒ renforce l’idée que celui-ci aurait
été conditionné dès le départ, et comme inconsciemment, par
quelque vue métaphysique. Cependant, cette fois-ci, voyons ce que
Duhem lui-même eut à répliquer face aux dires d’Abel Rey, cela
suffira, pensons-nous, à mettre un terme à cette question. M.
Awesso, qui constate chez Duhem son rejet du mécanisme ‒ d’où
l’« anti-essentialisme » ‒, voit dans cette posture
une conception métaphysique ; et Duhem, qui avait repéré
l’anicroche, écrit dans « Physique de croyant » :
Il
semble bien que nos conclusions se posent à l’encontre de ces
doctrines [le mécanisme, et de manière générale, toute
subordination de la physique à la métaphysique] ; qu’on ne
puisse admettre notre manière de voir sans rejeter par le fait même
ces systèmes métaphysiques ; et donc, que notre Physique, sous
ses apparences positives, soit, après tout, une Métaphysique17.
Duhem
a compris la critique : refuser une position métaphysique,
n’est-ce pas, de facto, déclarer l’opinion
contraire qui demeure métaphysique ? or, il serait hâtif de
juger ainsi de son phénoménalisme. Si Duhem combat le mécanisme,
ou cette manière de voir la physique comme explicative, il le fait
uniquement sur le terrain de la physique. Simplement, en prenant pour
uniques règles celles de la physique, à savoir qu’une bonne
théorie physique doit représenter « avec une approximation
suffisante un ensemble étendu de lois expérimentales18 »,
notre savant peut juger des divers systèmes physiques proposés par
l’École mécaniste. Puisque ces systèmes ne répondent pas aux
critères d’une saine théorie physique, on ne peut décemment les
accepter. Nullement, Duhem ne prétend récuser le mécanisme dans
ses principes ‒ c’est-à-dire sur le terrain de la métaphysique
‒, en disant qu’une telle philosophie de la nature est absolument
impossible :
Affirmer
donc que tous les phénomènes du monde inorganique sont réductibles
à la matière et au mouvement, c’est faire de la Métaphysique ;
nier que cette réduction soit possible, c’est encore faire de la
Métaphysique ; mais de cette affirmation comme de cette
négation, notre critique de la théorie physique s’est également
gardée19.
En
ce sens, Duhem peut légitimement affirmer de sa physique qu’elle
est une physique positive.
Si
la supposition d’une hypothèse métaphysique assurant la physique
qualitative de Duhem ‒ et le rejet du mécanisme ‒ ne peut pas
tenir, il n’en reste pas moins une objection, qui signale dans sa
philosophie scientifique une motivation religieuse. M. Alain Boyer
écrit dans « Physique de croyant ? Duhem et l’autonomie
de la science » : « Tout se passe comme si Duhem
adoptait le démarcationnisme strict pour mieux saper à la base
l’idéologie scientiste en montrant son incohérence : le
positivisme est incompatible avec la métaphysique matérialiste20. »
En effet, la démarcation radicale entre physique et métaphysique
qui assure à la première son autonomie, amène à la ruine
immédiate, avantageuse pour Duhem, de toute prétention scientiste.
Selon le commentateur, notre savant impose alors au scientiste un
dilemme cornélien : si celui-ci souhaite établir une
« métaphysique matérialiste », laquelle s’opposerait
à la religion, il ne pourra en même temps préserver l’indépendance
de la science ni exclure toute riposte métaphysique bafouant sa
prééminence ; à l’inverse, s’il opte pour un véritable
positivisme ‒ dont les conséquences sont suivies jusqu’au bout
‒, la science devient inefficace à justifier l’irréligion et ne
constitue plus l’arme qui était pressentie. En obligeant à
choisir entre l’objectivité du scientifique et le dessein profond
du scientiste, Duhem démantèle ainsi le scientisme, qui tire sa
force d’une science mal comprise. Or, on pourrait songer que Duhem
ne soit pas arrivé par hasard à un tel résultat :
Le
« démarcationnisme strict » de Pierre Duhem tire son
origine d’une volonté concordataire : il s’agissait de
désamorcer le conflit latent entre la science moderne et la religion
en traçant une ligne de partage des tâches à la fois étanche et
acceptable par les deux parties21.
M.
Boyer voit donc dans le phénoménalisme duhémien ‒ qu’il nomme
« démarcationnisme strict » ‒ une stratégie qui a
d’abord en vue de défendre la religion. La volonté de concilier
science et foi aurait ainsi déterminé pour l’essentiel la
philosophie scientifique de Duhem ; partant, les conclusions
auxquelles il parviendrait ne seraient pas entièrement objectives,
car il faudrait partager les mêmes convictions pour suivre tout du
long l’exact cheminement de notre savant.
Ce
genre d’interprétation et les reproches qui peuvent s’ensuivre
ne sont pas nouveaux, et Duhem s’en était déjà prémuni dans
« Physique de croyant ». Le physicien ne cache pas sa
croyance, et confesse : « Je n’ai jamais dissimulé ma
foi, et Celui de qui je la tiens me gardera, je l’espère du fond
du cœur, d’en jamais rougir22. »
Toutefois, il lui semble étrange qu’Abel Rey, qui dans la
conclusion de son article présentait la philosophie scientifique de
Duhem comme celle d’un croyant, ait cru aboutir sur ce simple
constat, qui, en soi, n’apporte rien :
Bien
plutôt, il a voulu dire que les croyances du chrétien avaient, plus
ou moins consciemment, guidé la critique du physicien ;
qu’elles avaient incliné sa raison à certaines conclusions ;
[…] en un mot, que pour adopter dans sa plénitude, dans ses
principes comme dans ses conséquences, la doctrine que j’ai tenté
de formuler au sujet des théories physiques, et cela sans manquer de
clairvoyance, il fallait être croyant23.
Or,
Duhem a toujours évité avec une extrême précaution de mélanger
physique et métaphysique, il serait pour le moins paradoxal qu’il
ait mêlé à ses considérations sur la physique des idées
religieuses et métaphysiques. Il se défend d’abord de toute
intention de sa part allant dans ce sens : « Au progrès
de la science physique, telle que j’ai essayé de la définir, le
croyant et l’incroyant peuvent travailler d’un commun accord24. »
Ensuite, il montre que sa conception de la physique est positive par
ses origines, en sorte que nulle préoccupation métaphysique ne la
motive ; et qu’elle l’est aussi par ses conséquences,
c’est-à-dire qu’elle n’entraîne pas vers un type particulier
de métaphysique.
Nous
avions déjà signalé le fait que le phénoménalisme duhémien
prend sa source dans la pratique du physicien25.
Duhem trace ici un résumé parfaitement concis et clair sur la
tendance de son esprit physicien : d’abord mécaniste sous
l’influence de son professeur de collège Jules Moutier, puis
empiriste et inductiviste au cours de ses études à l’École
Normale, il finit par devenir phénoménaliste à cause de son souci
de cohérence logique et des contraintes salutaires de
l’enseignement ; c’est-à-dire par ne plus concevoir la
théorie physique comme résultant de considérations métaphysiques
ou de la seule vertu de l’expérience, mais comme une théorie
abstraite et symbolique ordonnant l’ensemble des phénomènes.
Une
précision importante doit maintenant être établie. En effet, Abel
Rey met en cause la philosophie scientifique de Duhem, et ce dernier
répond en garantissant son système physique des objections du
premier, comme s’il confondait physique et philosophie de la
physique. Pour Duhem, en réalité, la philosophie scientifique en
question n’est pas dissociable de la pratique de cette science :
faire de la physique, cela revient à réfléchir sur les méthodes
et buts légitimes de la physique, et comment les mettre en
application. Il ne suffit donc pas de pratiquer, mais encore de
suivre la bonne pratique. La logique de la physique ‒ terme que
Duhem emploie, car celui de philosophie lui paraît trop vague ‒
consiste à analyser les procédés propres à cette science par le
seul moyen de la méthode positive. Une science sans sa logique ne
peut fonctionner, et un scientifique qui ignore la logique de sa
discipline est par conséquent incapable d’œuvrer profondément à
son progrès. En cette circonstance, si Duhem affirme que son système
physique ne conduit à aucun type spécifique de métaphysique26,
il entend par là répondre à Abel Rey sur sa philosophie
scientifique purement positive et logique, c’est-à-dire son
phénoménalisme strict. Il ne faut pas s’en étonner, d’autant
qu’Abel Rey n’a fait nulle mention de l’autre aspect de la
pensée duhémienne, de la doctrine de la classification naturelle,
ce pourquoi Duhem répond sur le terrain interne à la physique, qui
est seul concerné27.
Le
reproche concernant l’influence qu’ont pu avoir les croyances
religieuses de Duhem sur le développement de sa physique, est plus
absurde encore, si on considère que les savants chrétiens ne
forment aucune sorte d’École avec des vues très arrêtées sur la
physique :
N’avions-nous
pas connu des chrétiens, aussi sincères qu’éclairés, qui
croyaient fermement aux explications mécaniques de l’Univers
matériel ? […] Et d’ailleurs, comme pour mieux marquer à
quel point notre manière de voir sur ces questions s’inspirait peu
de nos croyances, les attaques les plus nombreuses et les plus vives
contre cette manière de voir ne sont-elles pas venues de ceux qui
professent la même foi religieuse que nous28 ?
Il
est vrai que la supposée stratégie de Duhem ne fait pas
l’unanimité, loin s’en faut ! Les néo-thomistes sont plus
volontiers partisans d’une physique fondée sur la métaphysique,
car elle permet au moins une apologétique scientifique. Si l’on
trouve la bonne métaphysique, alors il n’y a pas lieu que la
physique qui en découle soit détournée par le scientisme. Or,
voilà que Duhem constate et déclare l’inefficacité et l’inanité
de tels efforts, non pas qu’ils ne puissent défendre le dogme
catholique, mais parce qu’ils ne suffisent à fonder une bonne
physique. Duhem préfère sauver la saine physique, plutôt que de
garantir la religion sur la base d’une physique frelatée et mal
comprise ; en cela, il agit avant tout par souci de vérité et
de sincérité, et donc en tant que physicien qui connaît son
métier. Pour exemple, le troisième congrès scientifique
international des catholiques, qui se déroula à Bruxelles du 3 au 8
septembre 1894, où il n’a pas hésité à s’en prendre à
certains philosophes et savants catholiques qui jugeaient de la
physique tout en en ignorant la méthode et les procédés29 :
on peut difficilement faire pire ‒ c’est-à-dire moins efficace ‒
en terme de duplicité.
Finalement,
il apparaît que le phénoménalisme garantissant l’autonomie de la
physique, chère à Duhem, a essentiellement pour but de la sortir
d’un terrain où elle s’enlisait. En la débarrassant de
querelles plus philosophiques que scientifiques, mais surtout, en lui
donnant un but qu’elle puisse vraiment accomplir et une liberté
grosse de fécondité, Duhem agit comme un scientifique qui souhaite
voir sa science devenir complète. Lui-même l’avoue au début de
La Théorie physique : « Il n’est aucun
penseur qui ne souhaite à la science qu’il médite un cours aussi
paisible et aussi régulier que celui des Mathématiques30. »
Si Duhem avait pu satisfaire son désir de cohérence et de logique
dans le mécanisme ou dans l’inductivisme, de telle façon que la
physique théorique se serait développée de manière satisfaisante
d’un point de vue purement scientifique : alors il n’aurait
pas souscrit au phénoménalisme. En dépit des éclaircissements
apportés par « Physique de croyant », soutenir, sans
quelque argument probant, que Duhem avait un dessein caché qu’il
ne voulait révéler ou qu’il ignorait lui-même, c’est manquer,
à notre sens, une lecture objective de l’auteur.
Nous
avons vu quelques objections à la conception duhémienne de la
physique, ayant pour particularité de jeter un certain discrédit
sur le phénoménalisme, lequel serait contradictoire, supposant ce
qu’il ne devrait pas : à savoir une métaphysique. En ce
sens, on a pu reprocher à Duhem d’avoir déployé, consciemment ou
non, une stratégie de croyant. Nous avons tenté, en reprenant
l’argumentation de Duhem lui-même, d’éclaircir la question et
de réfuter ces objections. Du vivant de notre auteur, la même
controverse n’a pas eu lieu, à notre connaissance, sur le domaine
propre de l’histoire des sciences. Pourtant, parallèlement à la
critique de sa physique, ne pourrait-on pas supposer chez Duhem des
idées religieuses et métaphysiques qui ont pu influencer sa vision
de l’histoire, et donc ses recherches en la matière ? Dans un
article intitulé : « L’histoire des sciences selon
Duhem, une crypto-théologie de la Providence31 »,
M. Michel Puech n’hésite pas à avancer une telle supposition. Il
ne se contente d’ailleurs pas de répondre par l’affirmative, il
va plus loin, il reconnaît une véritable stratégie de croyant qui
exige de l’histoire une contribution précise :
Pour
accomplir ce programme [l’apologétique duhémienne32],
au fil du temps, Duhem se constitue une méthode, systématique et
caractéristique.
Les
objectifs sont clairs. L’idéologie républicaine et scientiste
pense représenter les temps nouveaux, et être issue d’une rupture
dans l’histoire, l’apparition de la rationalité scientifique et
sa lente conquête de l’univers mental. Pour faire front sur le
terrain de l’histoire, il faut préserver l’idée qu’il n’y a
pas eu de rupture décisive avec l’apparition de la rationalité
scientifique33.
En
cette manière de voir, l’histoire des sciences de Duhem n’est
qu’un prétexte pour servir la cause de la religion. Ainsi peut
s’expliquer le continuisme historique que Duhem défend avec
ardeur : il ne sert pas tant la physique en retraçant la longue
évolution de la classification naturelle, mais favorise avant tout
la religion en faisant primer la tradition sur l’innovation, en
montrant tout ce que la science moderne lui doit. Et pour
caractériser la méthode historique issue de ce parti pris, M. Puech
ajoute :
Selon
cette méthode, il y a toujours dans les exposés d’histoire des
sciences de Duhem des Bons et des Mauvais. L’histoire des sciences
de Duhem n’est pas axiologiquement neutre, et elle n’est pas
axiologiquement neutre parce qu’elle crypte une théologie.
L’accumulation des documents selon le tableau d’honneur et
d’infamie de la Providence va produire maintenant l’effet d’un
comique de répétition, qui me paraît avoir une valeur
démonstrative très forte34.
Or,
puisque l’histoire des sciences de Duhem ne serait pas
« axiologiquement neutre », autrement dit qu’elle
dépendrait étroitement et se trouverait comme le reflet de ses
convictions religieuses, elle ne peut être acceptée de tous :
sa méthode n’est pas objective. Bien sûr, l’objectivité en
histoire est un idéal vers lequel il faut tendre, sans qu’on le
puisse atteindre absolument. Mais cette objectivité, selon M. Puech,
Duhem la fuit allégrement, tout en simulant le contraire ; d’où
la crypto-théologie inspirant son histoire des sciences.
Malgré
l’avertissement préventif de M. Puech : « Je ne
caricature pas, je sélectionne et mets en ordre des mécanismes de
caricature35. »,
nous pensons que son article est en grande partie caricatural.
Premièrement, parce qu’il fait l’impasse sur le contexte dans
lequel Duhem en arrive à s’intéresser activement à l’histoire
des sciences. Duhem est physicien ; or l’histoire de la
physique, et plus précisément celle des théories physiques, lui
offre la connaissance requise pour parfaire son métier de physicien.
D’une part, cela justifie sa philosophie de la science ‒
phénoménalisme et classification naturelle ‒, de l’autre, elle
lui permet de développer concrètement sa théorie physique ‒
l’énergétique ‒, par la justification des hypothèses
introduites. Mais le point fondamental que ne mentionne pas M. Puech,
et qui bannit toute préméditation dans l’œuvre historique de
Duhem, est le suivant : en remontant petit à petit l’histoire,
motivé par ses recherches physiques, Duhem ne s’attendait pas à
déborder le XVIIᵉ siècle36 ;
lui-même croyait alors que le Moyen Âge ne représentait qu’une
période obscure scientifiquement et pour cela dénuée d’intérêt ;
c’est en 1903, au cours de ses prospections pour son ouvrage Les
origines de la statique, qu’il fait la découverte de
Jordanus de Némore, et, partant, qu’il s’attachera à révéler
et réévaluer la science médiévale37.
Secondement,
le souci dont fait preuve Duhem, qui est de toujours citer ses
sources, devient pour M. Puech, en un certains sens, un complexe et
une obsession38 :
Le
problème de Duhem n’est pas la continuité entre A et B, problème
historique et scientifique, mais le tri crypto-théologique des Bons
et des Mauvais. Influence et continuité pour les uns, plagiat et
conspiration pour les autres, selon le principe que nous
suspections : ce qui est à moi est à moi, et ce qui est
à toi est aussi à moi39.
Duhem
accuserait ainsi de plagiaire ceux qu’il n’aime pas, sans qu’il
n’ait pour cela d’autre fondement que son animadversion. Il est
facile pour lui, par conséquent, de faire remonter le fleuve de la
science selon les voies qui ont son approbation. De même, lorsque
Duhem critique tel ou tel auteur, cela signifie pour M. Puech, son
rejet le plus total. Or cela est faux : comme si Duhem ne
pouvait admirer l’œuvre scientifique40
de Descartes ‒ que M. Puech classe parmi les mauvais41
‒, parce qu’il n’accepte pas sa manière philosophique de
concevoir la physique ! Mais si Duhem était tant aveuglé par
son catholicisme et son nationalisme en histoire, n’aurait-il pas
agit également avec ses contemporains ? Pourquoi, en effet,
entreprendre un tri idéologique dans l’histoire de la physique, et
ne pas l’appliquer dans l’élaboration de sa propre œuvre
scientifique ? À ce que l’on sache, une grande partie des
savants qui ont inspirés Duhem, tant en science qu’en philosophie,
Robert Mayer, William Rankine, Ernst Mach, Gustav Kirchhoff, Hermann
von Helmholtz, et Josiah Gibbs, ne sont certainement pas Français,
ni ne correspondent à des portraits catholiques remarquées.
Enfin,
on pourrait sans trop forcer, résumer l’article de M. Puech par le
syllogisme suivant : Duhem est catholique ; les grandes
figures de la science médiévale qu’il sort de l’oubli sont
catholiques : il a donc sélectionné ce qui allait dans le sens
de son stratagème crypto-théologique. Pour soutenir que Duhem, du
fait de ses convictions religieuses, n’a pu faire la part des
choses, et qu’il a conséquemment apposé son prisme idéologique
sur la réalité, il ne faut pas se contenter de le suggérer, comme
le fait M. Puech, mais il convient de le prouver dans le détail.
Certes, il est possible de déformer la réalité, d’autant qu’en
histoire la vérification n’est pas aisée, il est donc légitime
de craindre de telles tentatives ; s’il s’agit alors d’un
homme qui entreprend de la plier selon toutes ses envies, en prenant
soin de garder l’apparence du sérieux, il faut de toute nécessité
répliquer en historien, et non baser sa réponse sur une supposition
contestable.
Du
reste, Duhem savait pertinemment qu’il ne sert de rien d’élever
des tentatives qui finissent par s’écrouler, l’histoire des
théories physiques a gravé en son esprit un tel enseignement, s’il
n’était déjà présent. Dans cette optique, comment pouvait-il
consacrer sa vie à l’édification de deux monuments ‒ la
physique énergétiste et une histoire cosmologique inédite ‒ sans
nul souci de la vérité ? D’ailleurs, pourquoi eût-il cru
travailler à l’avantage de la religion s’il ne travaillait pas
en même temps en faveur de la vérité ‒ la plus objective
possible ? Une fameuse citation de Bossuet enseigne ceci :
« Le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire
les choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non parce qu’on
a vu qu’elles sont en effet. » En tant que chrétien sincère,
et grand lecteur de Pascal ‒ lequel assurément ne désavouerait
pas telle pensée ‒, Duhem ne pouvait qu’appliquer
scrupuleusement cet enseignement à l’étude de l’histoire des
sciences. Cela étant dit, quoique nous ne pensons pas que Duhem ait
écrit une « contre-histoire des sciences42 »,
rien n’empêche que sur des questions s’avérant cruciales, un
historien bien au fait ait des choses à redire, car nul n’est à
l’abri de l’erreur.
Nous
avons été conduit à exempter Duhem d’une stratégie de croyant
qui se situerait en amont de son œuvre ‒ scientifique et
historique ‒, et l’aurait préalablement incliné à certaines
conclusions plutôt que d’autres. Toutefois, il ne convient pas de
céder sans raison à l’extrême opposé, et d’affirmer que
l’entreprise duhémienne est affranchie de toute influence exercée
par son catholicisme. Ainsi, nous allons voir en quel sens une telle
influence se peut reconnaître.
Le
phénoménalisme que professe Duhem a pour but de rendre la physique
autonome de la métaphysique, ce afin qu’elle puisse dépasser les
conflits philosophiques, être acceptée universellement, et se
développer merveilleusement selon que tous y contribuent en une même
direction. Le moyen pour ce faire est la séparation entre la
physique et la métaphysique. Une conséquence que Duhem a nettement
perçue, c’est qu’aucun système métaphysique n’est apte à
contredire ou justifier des hypothèses en physique, ni donc de lui
imposer une direction privilégiée. Le physicien est libre dans son
domaine et ses recherches ne dépendent que de la méthode positive.
Or, à cette conséquence s’ajoute un corollaire dont Duhem n’a
pas moins tiré parti ; si le phénoménalisme se veut
uniquement positif, et découle essentiellement des préoccupations
du physicien soucieux de sa science : « En résulte-t-il
que le croyant n’ait aucun compte à tenir de cette critique de la
science physique, que les résultats auxquels elle conduit soient,
pour lui, sans aucun intérêt43 ? »
Manifestement non, puisque si la métaphysique ne peut rien commander
en physique, l’inverse vaut également. Duhem peut alors écrire
que « le système que nous avons exposé fait disparaître les
prétendues objections que la théorie physique dresserait à
l’encontre de la Métaphysique spiritualiste et du Dogme
catholique44 ».
En effet, qu’est-ce qu’un dogme religieux sinon « un
jugement qui porte sur une réalité objective45 » ?
Or, un principe de physique théorique « n’est ni vrai ni
faux46 »
à proprement parler, il prétend seulement représenter au mieux un
ensemble de phénomènes et de lois expérimentales. Dès lors, « il
ne saurait y avoir ni accord ni désaccord47 »
entre les propositions énoncées par une théorie physique et celles
proposées par la métaphysique ou la théologie.
Quelques-uns
pourraient s’offusquer, et alléguer que le phénoménalisme de
Duhem a bien une portée métaphysique ou religieuse, en ce qu’il
protège la religion des attaques de la science. Mais cela vient de
ce qu’ils n’envisagent pas la totalité du problème, que Duhem
expose en ces termes :
Physique
de croyant que cette Physique-là, dira-t-on, puisque, si
radicalement, elle dénie toute valeur aux objections tirées de la
théorie contre la Métaphysique spiritualiste et contre la Foi
catholique ! — Mais, tout aussi justement, Physique
d’incroyant, car elle ne fait ni moins bonne, ni moins rigoureuse
justice des arguments que l’on s’essayerait à déduire de la
théorie en faveur de la Métaphysique ou du Dogme48.
Ainsi,
la physique de Duhem acquiert une véritable neutralité. Ni croyants
ni incroyants n’ont à s’inquiéter des répercutions et
interprétations métaphysiques de leurs travaux, et qui pourraient
les diviser. Il semble bien que toute possibilité d’une
apologétique scientifique soit de facto réduite à
néant49.
Cependant, lorsque Duhem affirme l’impossibilité d’une
apologétique scientifique, il entend par là une apologétique
positive ou constructive, qui tente de fonder sur la science
certaines vérités de foi. En effet, force est de reconnaître que
le phénoménalisme duhémien est apologétique en un sens négatif,
car il fait évanouir la critique scientiste envers la religion. S’il
y a bien une influence des convictions catholiques de Duhem sur son
œuvre, on en peut assurément trouver la marque dans l’intérêt
qu’il tire de son phénoménalisme. Ce n’est pas que
l’apologétique soit son dessein principal, mais une telle
conséquence, profitable à la religion, qui s’offre à lui :
il ne pouvait pas ne pas l’appuyer, ni en dégager l’avantage
essentiel. Duhem, en catholique, prend donc en compte ce résultat,
le développe, et l’intègre très volontiers à sa pensée, car il
voit bien ce qu’il peut en tirer. À cette fin, il montre par un
exemple que les principes de la physique ne concernent en rien le
problème du libre-arbitre. Et Duhem s’accommode d’autant mieux
du corollaire immédiat, à savoir l’impuissance pour la religion
de se servir des théories physiques en sa faveur, qu’il sait
pertinemment que la physique évolue sans cesse, et de ce fait, que
seule une apologétique ruineuse pourrait être bâtie sur un sol
mouvant. À ce sujet, il donne un nouvel exemple pour étayer ses
dires, illustrant l’incompétence de la science quand il s’agit
de disputer sur la fin du monde ‒ ou problème eschatologique ‒,
qui par ailleurs est un dogme du Christianisme.
La
restriction que notre savant impose à la science, en l’empêchant
de nuire à la métaphysique ou à la religion, ne manque pas de
faire écho à la situation de l’époque, où la guerre doctrinale
retentissait dans les esprits, divisant les camps entre catholiques
et scientistes, cléricalistes et anti-cléricalistes, royalistes et
républicains50.
Pierre Humbert, un disciple et biographe de Duhem, a écrit du savant
qu’il était un « de ces champions de l’antiscientisme51 ».
Il est vrai que Duhem lui-même a fait mention, non sans dédain, de
la lutte menée avec ardeur par le scientisme :
Il
est de mode, depuis un certain temps, d’opposer les unes aux autres
les grandes théories de la Physique et les doctrines fondamentales
sur lesquelles reposent la philosophie spiritualiste et la foi
catholique ; on espère bien voir ces doctrines s’écrouler
sous les coups de bélier des systèmes scientifiques52.
Pour
lui, ces attaques ineptes et répétées proviennent en réalité
d’une méconnaissance de ce qu’est véritablement la science :
« Assurément, ces luttes de la Science contre la Foi
passionnent surtout ceux qui connaissent fort mal les enseignements
de la Science et point du tout les dogmes de la Foi53. »
Néanmoins, si Duhem s’oppose au scientisme parce que ce dernier
est une caricature de la science, comment le phénoménalisme s’en
démarque-t-il ?
La
conception de la science que conteste naturellement le phénoménalisme
duhémien se trouve être le réalisme scientifique et
méthodologique. En ce réalisme, il est possible de distinguer deux
catégories : la première fait découler la physique de la
métaphysique, attribuant de ce fait à celle-ci des conséquences
métaphysiques ‒ c’est le cas de l’atomisme et du mécanisme
que Duhem fustige ‒ ; la seconde, sans assujettir la physique
à la métaphysique, élève des prétentions métaphysiques sur la
base de lois tirées exclusivement de l’expérience et expliquant
alors la nature ‒ c’est le cas de l’inductivisme que Duhem ne
critique pas moins. Qu’il se décline suivant l’un ou l’autre
système, le réalisme entraîne une confusion des méthodes physique
et métaphysique, et donc une méprise au sujet de l’articulation
des deux domaines concernés. Par ailleurs, le positivisme radical
qui nie résolument un lien ou une articulation quelconque entre
physique et métaphysique ‒ et pour cause, les propositions
métaphysiques n’ont à l’égard de cette doctrine aucun sens, il
ne peut y avoir de connaissance métaphysique ‒ est aussi éloigné
du phénoménalisme duhémien. Celui-ci se trouve comme à
l’entre-deux, et évite de tomber dans l’excès du réalisme
scientifique et du positivisme radical, en refusant à la fois l’un
et l’autre. La philosophie de la science de Duhem tient du
positivisme ‒ puisqu’elle délimite un domaine précis et
légitime pour la physique ‒, mais d’un positivisme borné au
terrain de la physique, et qui ne prétend pas s’imposer comme
hégémonie vis-à-vis de toute connaissance : il ne dit rien
sur la métaphysique. De même, cette philosophie, par la doctrine de
la classification naturelle, n’abandonne pas toutes les espérances
du réalisme scientifique ‒ telles l’unité de la science et le
rapport au réel ‒, mais elle y parvient par des moyens
essentiellement différents, par une méthode métaphysique. C’est
vraiment dans son rapport à la fois indifférent et ouvert à la
métaphysique que le phénoménalisme duhémien s’affirme comme une
doctrine anti-scientiste. Suivant notre interprétation de la pensée
de Duhem, le scientisme est en réalité bicéphale ; ou pour le
dire autrement, le réalisme est la face d’une médaille dont le
positivisme est le revers. Tous deux alimentent le scientisme en ce
qu’ils constituent une dérive de la science, laquelle outrepasse
son domaine propre. Selon une analyse pascalienne54,
on pourrait dire que le réalisme scientifique incline au ridicule
de la science ‒ et aussi à sa faillite55
‒ par ses prétentions obtuses et abusives à l’explication du
monde ; le positivisme, quant à lui, produit la tyrannie
de la science par la suppression de la métaphysique et de la
recherche du sens, toutefois, comme l’humanité ne peut réprimer
ses aspirations, c’est la science qui finalement s’arroge la
place du souverain déchu, et devient sa propre métaphysique :
détruisant pour mieux s’approprier !
La
critique du scientisme chez Duhem, qui accompagne la défense du
phénoménalisme, ne laisse pas d’être apologétique. Dans sa
lettre au Père Bulliot, Duhem indique les reproches que l’on
pourrait établir, du point de vue de la logique, contre la
religion ; et de manière générale, l’antagonisme entre la
méthode scientifique et la méthode religieuse56.
Il y vise particulièrement le positivisme. En distinguant les
méthodes physique et métaphysique, le phénoménalisme constate
bien l’unité de la raison humaine, quoique les moyens varient afin
de parvenir à des objets différents57.
Par l’analyse de ces méthodes, Duhem se rend compte du fait que la
science n’est pas uniquement démonstrative, et qu’elle n’est
pas mieux fondée que la religion, car le sens commun leur sert à
tous deux de socle :
À
force de réfléchir à ces difficultés [notamment à l’objection
selon laquelle certaines croyances philosophiques et religieuses
reposent sur des principes non justifiés], je me suis aperçu qu’on
en pouvait dire autant de toutes les sciences, de celles qu’on
regarde comme les plus rigoureuses, la Physique, la Mécanique, voire
la Géométrie. Les fondations de chacun de ces édifices sont
formées de notions que l’on a la prétention de comprendre, bien
qu’on ne puisse les définir, de principes dont on se tient pour
assuré, bien qu’on n’en ait aucune démonstration. Ces notions,
ces principes, sont formés par le bon sens. Sans cette base du bon
sens, nullement scientifique, aucune science ne pourrait tenir ;
toute sa solidité vient de là58.
L’épistémologie
duhémienne permet de soutenir l’équilibre entre la science et la
foi ; tandis que le phénoménalisme les immunise réciproquement
en interdisant tout débordement, le bon sens ‒ qui est en
l’occurrence le sens commun ‒ vient assurer une commune
légitimité des méthodes physique et métaphysique.
Ainsi,
Duhem rétablit sur le même pied science et foi dans l’ordre de la
connaissance ; et si sa philosophie de la science interdit de
les mêler dans une même activité, ce n’est pas que l’une est
sérieuse et l’autre point, ni qu’elles soient absolument
incompatibles : mais il se fait que leur but et leurs moyens ne
se rencontrent pas ‒ quoique tout doit converger, physique et
métaphysique, science et foi, vers une même vérité, selon la
doctrine de la classification naturelle.
Nous
avons dit que si l’influence des convictions catholiques de Duhem
n’a pas déterminé son phénoménalisme, celui-ci n’hésite
pourtant pas à pousser au bout les conséquences qui servent une
apologétique, certes négative, mais d’autant plus efficace
qu’elle tire son origine d’une analyse positive ‒ et donc
indiscutable pour le scientifique. Il en est à peu près de même
pour le pendant de la physique, à savoir l’histoire de la physique
et des doctrines cosmologiques. Duhem n’a pas pu incliner les faits
en faveur d’un plan médité d’avance, car il ne pouvait en
connaître la clef de voûte qu’il ne découvrira que plus tard, et
petit à petit : une science médiévale florissante. En
revanche, puisque tous les commentateurs semblent unanimes à relever
des considérations apologétiques dans l’œuvre historique de
Duhem, il nous faut être attentif, et ne pas lui dénier à priori
une telle portée. Nous allons voir que Duhem a saisi l’occasion à
chaque fois qu’elle se présentait, et pour autant que cela
n’outrepassait pas son sujet de travail ‒ l’histoire des
doctrines cosmologiques ‒, de défendre la religion contre quelques
constantes de la critique, et même de la magnifier quand il le put.
On pourra constater que l’histoire des sciences chez Duhem procède
selon deux mouvements distincts, l’un contribuant à l’apologétique
négative, et l’autre faisant preuve d’une apologétique vraiment
constructive, ou positive.
Duhem
n’ignore pas que dans l’histoire communément enseignée, le rôle
de l’Église est celui d’oppresseur de la science, et que la
période du Moyen Âge, où celui-ci fut dominant, est présentée
comme un recul scientifique vis-à-vis de l’héritage grecque
redécouvert à la Renaissance59.
Dans l’optique de trouver une tradition à son phénoménalisme,
Duhem est amené à réviser le procès de Galilée ‒ emblème du
conflit entre l’Église et la science ‒ au cours des dernières
pages, très controversées, de son ouvrage intitulé Sauver
les phénomènes. Il en tire une réhabilitation du rôle que
l’Église a joué dans ce procès, étant donné que la logique
scientifique, selon la conception de Duhem, fut de celle-ci,
notamment en les personnes d’Osiander, du cardinal Bellarmin et du
Pape Urbain VIII, tandis que le réalisme prétentieux de Galilée,
qui l’amena sur le terrain de la métaphysique et de la théologie,
était bel et bien erroné. Bellarmin soutenait un phénoménalisme
très proche de celui de Duhem, recommandant aux astronomes d’avancer
leurs principes seulement à titre d’hypothèses ; en cela il
ne fait montre d’aucun fanatisme religieux :
Si
l’on avait une démonstration certaine que le Soleil se tient au
centre du Monde, que la Terre est au troisième ciel, que ce n’est
pas le Soleil qui tourne autour de la Terre, mais la Terre qui tourne
autour du Soleil, alors, il faudrait procéder avec beaucoup de
circonspection en l’explication de l’Écriture… Mais qu’une
telle démonstration existe, je ne le croirai pas tant qu’on ne me
l’aura pas montrée. Autre chose est de prouver que l’on sauve
les apparences en supposant que le Soleil est au centre du Monde et
que la Terre est dans le Ciel, autre chose est de démontrer qu’en
vérité le Soleil est au centre du Monde et la Terre dans le Ciel60.
Mais
le raisonnement de Galilée, nous dit Duhem, se compose à l’instar
d’une expérience cruciale : puisque le système de Ptolémée
ne suffit pas à rendre compte des phénomènes observés, et que
celui de Copernic y arrive bien mieux, le second ne peut qu’être
le bon, car « deux vérités ne se peuvent contredire61 ».
Dans une conversation avec Galilée, le futur Pape Urbain VIII lui
tint ce discours :
Si
Dieu a su et pu disposer toutes choses autrement que vous ne l’avez
imaginé, et cela de telle manière que tous les effets énumérés
fussent cependant sauvés, il ne nous faut point réduire la
Puissance et la Sagesse divines à ce système que vous avez conçu62.
On
comprend par là que la condamnation de Galilée ne fut pas prescrite
à l’encontre de la science, mais qu’elle était de nature
théologique. D’après Duhem, ce n’est pas le système
copernicien en lui-même qui gênait l’Église ‒ la réforme
grégorienne du calendrier s’est en effet basée sur celui-ci ‒,
mais la prétention métaphysique illégitime d’y réduire la
Puissance de Dieu même ! Du reste, Duhem ne va pas jusqu’à
devenir injuste envers Galilée, quand bien même il démythifie le
personnage dont on a fait le père de la science moderne63.
Si, par leur réalisme, les Képler et Galilée avaient tort du point
de vue de la logique, cela ne leur a pas empêché d’être féconds,
en préparant le terrain à Newton ; notamment car ils ont
beaucoup contribué à faire franchir à la science la séparation
entre les domaines céleste et terrestre. En exigeant des théories
astronomiques qu’elles se fondassent sur l’enseignement de la
physique ‒ laquelle n’était pas encore bien distinguée de la
cosmologie, c’est-à-dire de la métaphysique ‒, « ils
croyaient renouveler Aristote ; ils préparaient Newton64 » :
ils ont eu raison quant au domaine qui leur tient d’apanage,
autrement dit en physique, au sens moderne du mot, et se sont
fourvoyés dès qu’ils arguèrent d’une compétence en
métaphysique. C’est tout le paradoxe du réalisme scientifique,
qui, selon l’analyse de Duhem, malgré ses vaines prétentions
explicatives, contribue à l’avancée de la classification
naturelle par le versant purement représentatif de son travail.
L’influence
des condamnations de 1277 par Étienne Tempier, que Duhem détaille
surtout dans son Système du monde65,
constitue véritablement pour lui un rôle positif majeur que
l’Église eut à l’égard de la science. Mais avant de parvenir à
cette date, un long travail de sape fut nécessaire. En effet, Duhem
voit dans le Christianisme la ruine de l’aristotélisme fondé sur
une théologie païenne, laquelle croit en la divinité des astres et
à l’incorruptibilité des cieux. De plus, le système d’Aristote
affirme l’éternité du monde et soumet la sphère sublunaire à la
sphère céleste par une nécessité pouvant aller jusqu’à nier
l’existence du libre-arbitre, d’où le fatalisme d’un
Averroès ; en sorte qu’il s’oppose à certains dogmes
élémentaires des religions. De ce fait, la théologie et
l’astronomie ptoléméenne se trouvèrent alliées dans leur lutte
contre le péripatétisme :
Lorsqu’elle
condamnait les affirmations hérétiques du système péripatéticien,
la Théologie des trois religions monothéistes ouvrait des brèches
dans la solide muraille de ce système ; en ces brèches, la
Science expérimentale [à l’époque, l’astronomie] trouvait un
passage qu’elle élargissait au point qu’il permît sa libre
expansion ; c’est pourquoi l’historien comprendrait
imparfaitement l’essor que la Science, libérée de
l’Aristotélisme, a pris au Moyen Âge, s’il ne rappelait les
coups de bélier dont la Théologie a secoué les murs de la prison66.
La
philosophie des Saint Thomas d’Aquin et Saint Bonaventure
contribuait déjà à démanteler l’aristotélisme en établissant
le distinguo sur ce qui se pouvait concilier ou non avec
la foi chrétienne. Puisque les doctrines cosmologiques du
péripatétisme et du néo-platonisme amènent à des conclusions
métaphysiques mettant en danger la foi chrétienne ; comme
celle de l’unité de l’intellect humain, professant que les âmes
humaines après leur mort se fondent en une unique intelligence
appartenant à la hiérarchie des intelligences célestes ; la
théologie chrétienne a dû s’attaquer à l’ensemble de ces
systèmes, dès lors il fallut une « révolution théologique67 »
pour accomplir une révolution cosmologique nécessaire au
développement de la science moderne :
Pour
sauver, donc, le dogme de la création et la croyance en la survie
personnelle de l’âme humaine, elle [l’Église catholique] allait
saper des doctrines astronomiques et physiques que les précurseurs
de Copernic s’empresseraient de faire crouler. Voilà pourquoi nous
ne comprendrions rien à l’avènement des idées qui devaient
placer la Terre au rang des planètes si nous ignorions comment
l’Église catholique a lutté contre les Métaphysiques et les
Théologies léguées à l’Islam par l’Antiquité hellénique68.
Ainsi,
alors que des contemporains de Saint Thomas d’Aquin, tel Siger de
Brabant, persistent à enseigner la plus pure doctrine d’Aristote,
deux condamnations successives, en 1270 puis en 1277, sont
promulguées par Étienne Tempier, l’Évêque de Paris. Duhem
retient particulièrement deux articles :
49
[66]69.
Dieu ne pourrait donner au ciel un mouvement de translation pour
cette raison que le ciel, mû de la sorte, laisserait le vide
derrière lui.
34
[27]. La Cause première ne pourrait créer plusieurs mondes70.
Or,
notre auteur soutient que ces deux articles incriminés ont eu une
influence considérable sur le développement de nouvelles théories
du lieu, du mouvement et du temps, et sur la possibilité du vide.
S’il y revient souvent au cours de son Système du monde,
c’est bien parce que son intérêt premier se porte sur la façon
dont a pu se constituer progressivement la mécanique moderne. Selon
Duhem, si le cours du XIIIᵉ siècle a commencé à défaire l’œuvre
d’Aristote, en s’en prenant d’abord à sa métaphysique, les
condamnations marquent vraiment une rupture, et le moment où l’on
entreprit sérieusement de dépasser Aristote ; tout ceci permit
au XIVᵉ siècle de bâtir un nouvel édifice, une nouvelle physique
qui n’était point celle du Stagirite :
Étienne
Tempier et son conseil, en frappant ces propositions [voir ci-dessus]
d’anathème, déclaraient que pour être soumis à l’enseignement
de l’Église, pour ne pas imposer d’entraves à la toute
puissance de Dieu, il fallait rejeter la Physique péripatéticienne.
Par là, ils réclamaient implicitement la création d’une Physique
nouvelle que la raison des chrétiens pût accepter. Cette Physique
nouvelle, nous verrons que l’Université de Paris, au XIVᵉ
siècle, s’est efforcée de la construire et qu’en cette
tentative, elle a posé les fondements de la Science moderne ;
celle-ci naquit, peut-on dire, le 7 mars 1277, du décret porté par
Monseigneur Étienne Tempier, Évêque de Paris ; l’un des
principaux objets du présent ouvrage sera de justifier cette
assertion71.
Ici,
Duhem nous expose très clairement son apologétique : bien loin
que l’Église ne s’opposa aux débuts de la science moderne,
c’est elle qui en prépara les conditions nécessaires et par
conséquent, en permit l’émergence. La date de 1277 est pour lui
un point majeur de l’histoire des sciences, il confirmera ailleurs
qu’il s’agit même de « l’acte de naissance de la
Physique moderne72 ».
Pour
Duhem, l’apologétique ne se limite pas à ces considérations. En
effet, la science moderne n’est pas seulement redevable à
l’influence qu’a pu exercer de manière indirecte l’Église ‒
par la destruction des obstacles à son développement ‒ ;
mais à travers ses membres, celle-ci a donné une impulsion vraiment
positive dont les scientifiques modernes se sont fait les
continuateurs. Notre objet n’est pas ici d’énumérer la longue
suite d’auteurs que Duhem a ramenée dans la mémoire historique.
Mais le protagoniste principal et incontournable de cette fresque,
c’est assurément le maître ès-arts Jean Buridan, dont les
disciples, Nicole Oresme et Albert de Saxe, ne sont pas moins
glorieux. Le premier fait qui permet d’expliquer la place que tient
Buridan dans Le Système du monde, est celui qui
attribue à ce dernier le développement de la théorie de l’impetus.
Selon Duhem, cette théorie de l’impetus est grosse de
la Mécanique moderne, de Copernic à Newton, en passant par
Galilée :
La
Mécanique de Galilée, c’est, peut-on dire, la forme adulte d’une
science vivante dont la Mécanique de Buridan était la larve. C’est
assez dire quelle attention l’historien de la Cosmologie doit
accorder à la théorie de l’impetus enseignée par le
vieux maître parisien73.
La
théorie de l’impetus condamne radicalement la théorie
aristotélicienne du mouvement, et annonce déjà les concepts de
force vive et de quantité de mouvement74 ;
de plus, en s’appliquant en même temps aux objets célestes et aux
mobiles terrestres, l’impetus permet la réunification
des deux sphères du monde :
Or
Jean Buridan a l’incroyable audace de dire : Les mouvements
des Cieux sont soumis aux mêmes lois que les mouvements des choses
d’ici-bas ; la cause qui entretient les révolutions des orbes
célestes est aussi celle qui maintient la meule du forgeron ;
il y a une Mécanique unique par laquelle sont régies toutes les
choses créées, l’orbe du Soleil comme le toton qu’un enfant
fait tourner75.
Cette
mécanique universelle ne parviendra à maturité qu’avec l’apport
de Newton, mais on ne saurait en comprendre l’origine sans remonter
à Buridan qui en avait « semé la graine76 ».
Duhem insiste donc pour faire de ces grands savants du XVIIᵉ
siècle, que la coutume avait institués créateurs ‒ créateurs
d’une science moderne qui jaillit ex nihilo et déjà
épanouie ‒, des continuateurs d’une maturation séculaire et non
artificielle de cette science moderne : « Et le jour où
cette graine fut semée est, peut-on dire, celui où naquit la
Science moderne77. »
Le
second fait, est que Buridan professe une philosophie très proche du
phénoménalisme duhémien ; car celle-ci ne possède
effectivement aucune prétention explicative, mais tente de résumer
au mieux, par des lois issues de l’expérience, un certain ensemble
de phénomènes dûment constatés :
Avec
une grande netteté, avec une grande précision, Buridan nous a
décrit sa méthode philosophique. Elle se reconnaît, en
Métaphysique, incapable de donner des démonstrations qui concluent
d’une manière irréfutable ; […] Elle se reconnaît, en
Physique, impuissante à découvrir a priori les causes
des effets que nous observons ; elle se bornera donc à procéder
a posteriori, à établir par induction des lois
d’origine expérimentale, à combiner des hypothèses dont nous
nous déclarerons satisfaits lorsqu’elles auront, les plus
simplement possible, sauvé toutes les apparences78.
Que
la pensée scientifique de l’un des plus grands savants du Moyen
Âge et fondateur de la physique parisienne se trouve être comme
l’ancêtre, non seulement de la science moderne, mais aussi de la
philosophie de la science chère à Duhem, on comprend quelle aubaine
cela fut pour lui ! Certes, la conception qu’a Buridan de la
physique n’est pas aussi radicale que le phénoménalisme
duhémien ; sa physique n’est pas encore entièrement autonome
et à part de la métaphysique. En outre, il faut bien voir que la
physique de l’époque demeurait encore principalement qualitative :
point de théorie physique au sens de physique mathématique, et
telle que Duhem la concevra. Nous pensons pourtant que Duhem y voit
une tradition à laquelle se rattacher et justifiant sa propre
position :
Ce
Positivisme [la philosophie de Buridan] ne sera pas seulement
pratiqué par Buridan ; il le sera aussi par ses disciples, par
Albert de Saxe, par Témon le fils du Juif, par Nicole Oresme, par
Marsile d’Inghen ; ce sont ces hommes, qui vont créer la
Physique parisienne, première ébauche de la Science moderne, et
c’est par cette méthode qu’ils la créeront79.
Ainsi,
Duhem a toute légitimité de reprendre à son compte cette méthode,
qui a donné aux premiers pas de la science moderne la direction qui
devait lui assurer un progrès durable et universel. Lui-même, en
complétant et améliorant ladite méthode, pouvait croire qu’en
fondant sur elle son énergétique, il travaillait assurément au
progrès de la science.
Au
vu d’un tel résumé, on pourrait émettre des doutes légitimes
quant au lien supposé entre les condamnations de 1277 et le
développement de la physique parisienne du XIVᵉ siècle. Étayer
l’influence qu’ont pu exercer ces condamnations ‒ et donc
l’Église ‒ sur les débats scientifiques et les débuts de la
science moderne, cela est affaire d’historien. Toutefois, Duhem
nous montre que Buridan lui-même a tenu compte des condamnations de
1277, et spécialement de l’article 49
au sujet de la théorie du lieu et du mouvement local80 :
« Nous voyons que Buridan, au sujet du problème qui nous
occupe, accorde plein crédit à la décision d’Étienne
Tempier81. »
De plus, même si les philosophes ne s’appuient pas forcément sur
lesdites condamnations, le dogme de la toute-puissance divine est
régulièrement en usage au cours de leurs raisonnements et
argumentations :
Si
les Scotistes, si, après les Scotistes, Jean Buridan et Albert de
Saxe reprennent la théorie du mouvement de Damascius et de
Simplicius pour l’opposer à la théorie d’Aristote et
d’Averroès, c’est uniquement parce que les décisions
dogmatiques de l’autorité ecclésiastique les y contraignent,
c’est parce qu’ils veulent admettre les « cas divins82 ».
Ces
« cas divins » obligent les scolastiques à définir une
nouvelle physique qui ne limite plus la puissance de Dieu ; or,
tel est précisément le but que l’on perçoit à travers les
condamnations d’Étienne Tempier. En prenant compte de ces « cas
divins », en développant une physique qui puisse composer avec
la Puissance de Dieu, « les maîtres parisiens, écrit Duhem,
auront préparé une théorie du mouvement capable de s’accorder
avec la Dynamique de Newton83 ».
L’apologétique
historique de Duhem se double aussi d’un aspect plus psychologique.
En effet, le scientisme irréligieux que Duhem décrit dans sa lettre
au Père Bulliot84
prétend établir une incompatibilité foncière, un antagonisme
radical entre l’esprit scientifique et l’esprit religieux. Il
existe un terme caractéristique et révélateur de ce mode de
pensée, celui d’esprit fort : « Personne
qui croit faire preuve de force d’esprit en se situant au-dessus
des croyances religieuses85. »
En clair, un esprit religieux est un esprit faible, pris au piège
dans une pensée irrationnelle, un esprit tel que ne pourrait le
posséder un grand savant. Et si on constate d’aventure quelque
scientifique croyant, alors on arguera du fait qu’il n’est pas,
ou un bon scientifique, ou un bon croyant. Par l’étude historique
qu’a menée Duhem, ce raisonnement se trouve renversé. Les savants
qu’il a découverts être à l’origine de la science moderne sont
des croyants sincères et chrétiens qui vécurent « en des
temps où l’orthodoxie catholique de la Sorbonne était
proverbiale86 ».
Nicole Oresme, par exemple, fut Évêque de Lisieux, et en tant que
précurseur à la fois de Copernic, Galilée et Descartes, il
devançait d’environ deux siècles certaines découvertes :
Non
seulement Nicole Oresme a devancé Copernic en soutenant contre la
Physique péripatéticienne la possibilité du mouvement diurne de la
Terre ; non seulement il a précédé Descartes en faisant usage
de représentations géométriques obtenues à l’aide de
coordonnées rectangulaires à deux ou à trois dimensions, et en
établissant l’équation de la ligne droite ; il a encore fait
ou précisé une découverte que l’on attribue communément à
Galilée ; il a reconnu la loi suivant laquelle croît, avec le
temps, la longueur parcourue par un mobile qu’entraîne un
mouvement uniformément varié87.
Duhem,
sans affirmer qu’un esprit scientifique est forcément religieux,
soutient en revanche une compatibilité naturelle entre ces deux
esprits, et que les méditations du croyant ont une influence
positive sur sa pénétration de la science : « Aux temps
où les hommes étaient soucieux avant tout du royaume de Dieu et de
sa justice, Dieu leur accordait par surcroît les pensées les plus
profondes et les plus fécondes sur les choses d’ici-bas88. »
Or, à l’inverse ‒ et c’est ce que semble indiquer l’opinion
de Duhem quant à la Renaissance ‒ si l’homme en vient à
mépriser les biens célestes ou Dieu Lui-même, alors il est voué,
tôt ou tard, à se méprendre dans ses jugements au sujet de la
science : en sorte que le mépris entraîne la méprise.
Ce
que notre auteur a retenu des savants du Moyen Âge, à propos de
l’harmonie entre leur science et leur foi, Jean-François Stoffel a
très bien dit que l’on pouvait retenir de Duhem, les mêmes
leçons :
Pour
les scientistes, il y a donc une incompatibilité totale entre
l’esprit scientifique et l’esprit religieux. Aussi, s’ils
étaient bien forcés de reconnaître l’existence de savants
catholiques, c’était aussitôt pour douter soit de leur véritable
valeur scientifique, soit de la profondeur et de la sincérité de
leur foi religieuse. […] Dans ce contexte, l’œuvre proprement
scientifique de Duhem, qui n’a, pour nous, plus aucune valeur
apologétique, en avait une à cette époque, dans la mesure où ce
simple fait d’être, en même temps, un grand savant et un grand
catholique constituait déjà une première réfutation de cette
prétendue incompatibilité89.
Nous
ajouterions simplement, selon notre opinion, que le fait que Duhem
soit à la fois un grand savant et un grand catholique, n’a, encore
de nos jours, perdu aucune valeur apologétique, et qu’il est et
sera toujours bon de le savoir.
Nous
avons observé en quoi consiste l’apologétique historique de
Duhem, et bien qu’il semble en avoir déjà fait beaucoup en cette
discipline, il existe,
selon nous, encore un
autre type d’apologétique dont Duhem fait montre, une
apologétique proprement métaphysique. Mais
avant de l’aborder pleinement, il nous faut clarifier un point. En
répondant à Abel Rey, Duhem se défend qu’une quelconque
idée métaphysique marque
l’origine ou l’issue
de son système ; il précise
bien son caractère exclusivement positif :
Conduite
par la méthode positive telle que la pratique le physicien, notre
interprétation du sens et de la portée des théories n’a subi
aucune influence ni des opinions métaphysiques, ni des croyances
religieuses ; en aucune manière, cette interprétation n’est
la philosophie
scientifique d’un
croyant ;
l’incroyant en peut admettre tous les termes90.
Or,
qu’entend
Duhem par philosophie
scientifique, si ce
n’est qu’il reprend la terminologie d’Abel Rey, laquelle
caractérise son phénoménalisme. Jusque-là, nulle mention de la
classification naturelle ; et nous allons voir qu’on doit
consentir aux dires de Duhem seulement en un sens restreint du terme
philosophie
scientifique, ou
philosophie de la science.
Nous
avons expliqué que le phénoménalisme duhémien n’est
en rien anti-métaphysique,
au contraire
d’un positivisme étroit et trop commun, en sorte qu’il
correspond
plutôt à
un positivisme intelligent et
mesuré, qui discerne son
domaine de compétence ‒
la physique ‒
et s’y cantonne fidèlement. Néanmoins,
une telle position ne suffirait pas à définir la conception de la
science chez Duhem ; si le phénoménalisme daigne accorder une
place libre à la métaphysique, aussitôt, c’est pour que Duhem y
installe et développe un aspect de sa pensée.
M. Awesso, que nous avons
cité au chapitre II.1.a.,
a reconnu la part de métaphysique dans l’œuvre de notre auteur :
« Et pourtant, l’idée duhémienne de la classification
naturelle et le ‘‘réalisme émergent’’ qui en est
sous-jacent aboutissent à une philosophie de la nature91. »
Ce terme de philosophie
de la nature est
employé par M. Awesso pour désigner « une vision spécifique
de la science selon laquelle la connaissance scientifique n’épuise
pas l’ordre du réel, et ce, à cause de la complexité inhérente
aux phénomènes de la nature92 ».
Bien sûr, M. Awesso a raison lorsqu’il dit que la doctrine de la
classification naturelle, et la forme de réalisme qui lui est
propre, ont des implications métaphysiques ; quoiqu’il se
trompe en pensant que Duhem n’aurait pas aperçu une telle
conséquence. Il nous faut rappeler93
que Duhem exprime on ne peut plus clairement que la doctrine de la
classification naturelle est de nature métaphysique :
Quelle
est-elle, cette proposition métaphysique que le physicien affirmera,
en dépit de la réserve imposée à la méthode dont il a coutume
d’user, et comme par force ? […] la théorie physique
s’achemine graduellement vers sa forme limite qui est celle d’une
classification
naturelle94.
La
conception qu’a Duhem de la science n’est donc pas entièrement
positive ; toutefois, ses idées métaphysiques ne viennent pas
contredire ce qu’il a énoncé touchant son phénoménalisme, tant
qu’elles demeurent en leur domaine circonscrit. N’y a-t-il pas
une contradiction, en revanche, si l’on soutient une unité de la
philosophie scientifique de Duhem, à savoir que le phénoménalisme
proprement dit conduit
naturellement à la conception métaphysique que
Duhem se fait de la théorie physique ‒
la classification naturelle ? Parce que, semble-t-il,
si tel est bien le cas, ce que notre savant dit de son phénoménalisme
‒
lequel se doit d’être pleinement positif, et ne surtout pas avoir
pour conséquence un système ou une conception métaphysique ‒
se trouve immédiatement contredit par la suite de ses propos.
De
fait, nous avons soutenu dans la première partie de ce mémoire que
la classification naturelle dépendait étroitement du
phénoménalisme, et que l’on pouvait entendre ce dernier terme en
un sens plus général unissant la philosophie de la physique de
Duhem. Certes, la
continuité que nous pensons établir entre la
position du phénoménalisme
pur et celle de la
classification naturelle
est risquée, car l’une se situant en physique et l’autre en
métaphysique, une extrême
attention est nécessaire afin de ne pas confondre ces domaines.
Si la classification naturelle doit succéder au phénoménalisme,
quelle est l’exacte articulation qui s’impose entre physique et
métaphysique ? Nous pensons que le phénoménalisme en tant que
philosophie scientifique positive inspirant la physique, n’a
vraiment aucune conséquence métaphysique, si on le considère
uniquement du point de vue interne à son domaine d’application,
c’est-à-dire en physique. Cependant,
pour celui qui adopte un point de vue externe, à
savoir une optique
métaphysique, du phénoménalisme il tirera certaines conséquences
métaphysiques plutôt que d’autres. Ces
conséquences, le physicien ‒ s’il veut n’être
que physicien ‒ pourra
ne pas s’en soucier ; en
revanche, s’il veut en contester le bien fondé, alors il devra
s’avancer sur le terrain de la métaphysique.
À
priori, le phénoménalisme
duhémien n’oblige pas le
métaphysicien à admettre la classification naturelle ;
seulement, Duhem répondrait que cette doctrine explique
parfaitement bien la portée métaphysique de la théorie physique et
suit tout naturellement la position du phénoménalisme, en
s’appuyant à la fois sur le sens commun et l’étude historique
des théories physiques. Se
poser la question de la continuité entre un ensemble de
considérations strictement positives ‒
le phénoménalisme ‒ et
un ensemble de considérations métaphysiques ‒
la classification naturelle ‒,
tous deux relatifs à la théorie physique, c’est déjà admettre
une vision métaphysique. Le positiviste borné ne se posera jamais
pareille
question ; pour lui,
qui ne veut pas avoir affaire à un quelconque domaine de la
métaphysique, il n’y a pas de classification naturelle ni de
continuité, il n’y a que la physique : et il est en son droit
d’interpréter ainsi le phénoménalisme.
Mais
le physicien soucieux de sa science, conduit par le sens commun et
l’histoire de la physique, aura déjà acquis l’esprit du
métaphysicien en se posant la
question de cette
continuité : en
ayant ce recul sur sa propre science, il aborde déjà
la théorie physique sous
un autre angle. S’il
voit la continuité entre phénoménalisme et classification
naturelle, il est alors entré sur le domaine de la métaphysique et
porte un jugement de cette
nature.
Ainsi,
l’approfondissement de la connaissance scientifique est semblable à
une course, où le physicien ayant le premier rôle se trouve relayé
par le métaphysicien, qui prend à
son tour le flambeau afin
d’aller
plus en avant.
En l’occurrence, c’est
le métaphysicien qui établit
la continuité entre le
phénoménalisme et la classification naturelle, sans pour autant que
le premier devienne moins positif. Le savant qui procède de cette
manière modifie les règles en changeant de terrain : il y a
rupture en ce qu’il passe de la méthode physique à la méthode
métaphysique, et continuité selon qu’il agit en un même
mouvement ‒ le métaphysicien tient compte des acquis du physicien.
Si le phénoménalisme
débouche sur une doctrine métaphysique précise, on peut dire que
cela dépend uniquement de la finesse et de la clairvoyance dont le
métaphysicien fait preuve dans son analyse de la théorie physique.
Un savant métaphysicien pourrait critiquer la position que choisit
Duhem, et dénier la
possibilité d’une classification naturelle ‒ et donc de sa
continuité avec le phénoménalisme.
Encore
faudrait-il qu’il puisse confronter de sérieux arguments à
ceux de Duhem ‒ sens
commun et histoire de la physique ‒ ;
celui-ci nous dit simplement que sa réflexion métaphysique sur la
théorie physique l’amène à la conception de la classification
naturelle, que celle-ci est assurée non pas par le phénoménalisme
strict, mais par l’interprétation métaphysique qu’il en fait,
laquelle est dans la pleine continuité de sa réflexion de
physicien. Enfin,
rien n’interdit à priori une
critique de son
interprétation, bien que cela nous
semble difficile.
À
l’appui de notre propos,
nous pouvons arguer du fait de la structure argumentative même de
l’article « Physique de croyant ». Chose remarquable,
cet article qui est divisé en deux, défend dans la première partie
le phénoménalisme proprement dit de Duhem, c’est-à-dire une
philosophie scientifique rien
que positive, et argumente
dans la seconde en faveur d’une métaphysique de la science :
Mais
de ce que la saine logique ne confère à la théorie physique aucun
pouvoir pour confirmer ou pour infirmer une proposition métaphysique,
en résulte-t-il que le métaphysicien soit en droit de faire fi des
théories de la Physique ? […] Nous ne le croyons
pas ; nous allons essayer de montrer qu’il y a un lien
entre la théorie
physique et la
philosophie de la
nature ; nous
allons tenter de préciser en quoi consiste ce lien95.
Duhem
lui-même n’a aucun problème pour reconnaître une dimension
métaphysique au sein de son œuvre, cependant, il n’accepte pas
que l’on confonde ce qu’il a dit de la méthode positive et de la
méthode métaphysique. De ce fait, la
partition qu’il opère dans son article « Physique de
croyant » est hautement révélatrice de la distinction
parfaitement claire que Duhem concevait entre méthode physique et
méthode métaphysique. S’il croit
que le métaphysicien doit tenir compte de l’entreprise du
physicien, cette opinion n’influence en aucun cas sa conception
positive de la physique ‒ son phénoménalisme ‒, et ne fait donc
pas de sa physique, une physique de croyant. Et pour bien dissiper la
fatale confusion qui fut faite, notamment par Abel Rey, Duhem
entreprend d’expliciter dans le détail ses vues métaphysiques ‒
ce qu’il n’avait pas fait jusque lors, et, avouons-le, qu’il
aurait dû depuis longtemps. Par
ailleurs, Duhem n’entend
pas dans le même sens que M. Awesso, le terme de philosophie
de la nature ;
assurément, il s’agit pour lui d’une désignation bien limitée
qui renvoie à la cosmologie96.
Cela n’enlève rien,
toutefois, à ce que l’on a dit touchant la classification
naturelle ; en effet, Duhem explicite cette doctrine au chapitre
suivant97,
et il en fait comme un préambule nécessaire au cosmologiste,
préambule qui n’en est pas moins métaphysique.
Mise
au point faite, qu’en est-il de l’apologétique ? Si
l’on accepte de se confronter à Duhem sur le terrain de la
métaphysique, celui-ci dispose de robustes arguments pour nous
convaincre de sa doctrine de la classification naturelle. Le
physicien préoccupé par le progrès de la physique, et dont le
désir d’unité est enraciné en son esprit, se laissera aisément
séduire par une telle doctrine ; car
elle seule se montre capable de sauver la valeur de la théorie
physique :
En
un mot, le physicien est forcé de reconnaître qu’il
serait déraisonnable de travailler au progrès de la théorie
physique si cette théorie n’était le reflet, de plus en plus net
et de plus en plus précis, d’une Métaphysique ; la croyance
en un ordre transcendant à la Physique est la seule raison d’être
de la théorie physique98.
Or,
admettre la classification naturelle, admettre ce réalisme de la
théorie physique qui n’a lieu qu’en métaphysique, cela impose
du même coup le continuisme historique propre à Duhem. En
effet, la théorie physique ne peut se développer et devenir l’image
de plus en plus fidèle de la réalité, que dans la mesure où elle
préserve, lors de son évolution, les acquis des états passés. Il
ne s’agit pas d’améliorations radicales, mais plutôt d’un
constant perfectionnement. Si l’histoire n’était traversée que
par des changements brusques et imprévisibles, et non par une
continuité durable, cette conception ne pourrait trouver d’appui
ni un
quelconque fondement.
Bien
que cette continuité historique soit amplement étayée par les
travaux de Duhem en histoire des sciences, il
est difficile
de rendre raison, de répondre au pourquoi d’un tel
constat. Comme nous le
disions au chapitre I.499.,
la classification naturelle n’éclaircit pas plus les raisons du
continuisme que celui-ci ne dévoile les causes de celle-là.
Qu’est-ce qui, dans la
théorie physique, peut expliquer la continuité historique dans
laquelle elle s’inscrit par son développement ? Selon
les diverses conceptions : au
pire, le disparate qu’inclut le réalisme méthodologique et
scientifique, au mieux, le phénoménalisme : dans tous le cas,
aucun ne peut rendre compte du progrès de la physique en une
direction précise et vers une unité toujours plus compréhensive,
plus complète. Pour le
premier, il est évident que des tendances métaphysiques
successives et
contradictoires ne peuvent parvenir à l’union d’un but commun.
Pour le phénoménalisme,
la trop grande
liberté qu’il concède au physicien entrave
toute démarche constructive ; ce pourquoi la perspective
phénoménaliste a besoin d’un sérieux recours à l’histoire des
théories physiques. Or, de cette manière, on s’enferre dans un
cercle vicieux ; le seul moyen d’élever une classification
naturelle est qu’elle préexiste à toute tentative, puisque
l’histoire des théories passées ne sert que dans la mesure où
ces dernières sont révélatrices d’une tendance à la
classification naturelle.
Le problème, nous dirait Duhem, est que l’on cherche à s’assurer
de l’immanence du progrès scientifique. La classification
naturelle, ni la science ni l’histoire, ne peuvent trouver en
elles-mêmes leur principe d’être. Il faut, selon Duhem100,
admettre un ordre transcendant à la physique et à l’histoire de
la physique, un ordre qui serait providentiel. La
classification naturelle et le continuisme historique ne sont
possibles que parce qu’il y a une Providence qui veille à leur bon
déroulement. Que Duhem
parvienne à une telle conception de la science, sinon par la pure
logique, au moins par des voies raisonnables
et naturelles : là est son apologétique.
Le
providentialisme qui concluait notre première partie et couronnait
le phénoménalisme duhémien ‒ sa philosophie de la physique, tant
positive que métaphysique ‒, apparaît aussi, et naturellement,
comme le
couronnement
de l’apologétique duhémienne. Il
ne s’agit pas à proprement parler d’apologétique scientifique,
mais nul doute qu’elle s’appuie sur une conception spécifique de
la théorie physique ; laquelle est rendue d’autant plus forte
que le phénoménalisme ne satisfaisant pas à toutes les exigences
du savants, il entraîne comme un appel d’air en sa faveur,
c’est-à-dire en faveur de la classification naturelle. Une
fois qu’on a été
entraîné, il semble
qu’on aboutisse, sauf résistance, à la preuve invisible mais
reconnaissable d’un Dieu à l’œuvre pour façonner, en
particulier, la science humaine. Au moins, et
pour le plus réticent,
cette démarche amène à la croyance en une forme de transcendance.
En
dépit du caractère constructif d’une telle apologétique,
celle-ci n’est en rien agressive, ni même offensive : elle
n’est tout simplement pas mise en valeur,
ce qui peut paraître contradictoire. Les remarques éparses de Duhem
qui mentionnent l’idée de Providence sont si peu nombreuses, et se
présentent avec apparemment
tant de pudeur, qu’elles
semblent révéler la
pensée intime de Duhem,
sans qu’il ait cherché
à convaincre
qui que
ce soit. Il est
même vraisemblable que celui-ci n’ait pas perçu le caractère
apologétique de la classification naturelle, puisqu’il estimait
qu’un incroyant pouvait bien l’admettre101.
En tout cas, au vu du peu d’occurrence de cette apologétique, il
faut
connaître les recoins de
l’œuvre de Duhem pour
se rendre compte de celle-ci.
Et il
n’est pas dit que les savants ou
philosophes ayant approuvé
la doctrine de la classification naturelle aient
eu conscience de la
conséquence profonde qu’elle
implique.
Pour la Vérité !
Lars Sempiter.
1. A.
REY, « La philosophie scientifique de M. Duhem », Revue
de Métaphysique et de Morale, t. 12, n° 4 (juillet 1904), p.
699-744.
2. A.
REY, « La philosophie scientifique de M. Duhem », p.
733.
3. A.
REY, « La philosophie scientifique de M. Duhem », p.
740.
4. Il
faut prendre en compte que le terme de physique n’a pas la même
signification selon la première ou la seconde désignation. Comme
l’indique régulièrement Duhem, ce qu’on appelle physique
d’Aristote ou physique péripatéticienne serait à notre époque
reliée immédiatement à la métaphysique, tandis que la physique
moderne doit tâcher de conforter son autonomie.
5. A.
REY, « La philosophie scientifique de M. Duhem », p.
740.
6. A.
REY, « La philosophie scientifique de M. Duhem », p.
740.
7. A.
REY, « La philosophie scientifique de M. Duhem », p.
743.
8. A.
REY, « La philosophie scientifique de M. Duhem », p.
744.
9. J.-F.
STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem,
p. 18. Voir la note n° 10.
10. P.
DUHEM, TP, p. 205.
11. P.
DUHEM, TP, p. 211.
12. A.
REY, « La philosophie scientifique de M. Duhem », p.
699. Voir la note n° 1.
13. Pour
ce passage, voir A. REY, « La philosophie scientifique de M.
Duhem », p. 744. Abel Rey indique comme référence la page 34
de « L’évolution des
théories physiques du XVIIᵉ siècle jusqu’à nos
jours ».
14. A.
REY, « La philosophie scientifique de M. Duhem », p.
734.
15. Nous
ne savons pas ce qu’entend exactement M. Awesso par « philosophie
de la nature », néanmoins, celui-ci entend au moins par là
« une vision spécifique de la science » fondée sur une
idée du réel et de la nature. De plus, le lien avec la cosmologie
ici indiqué, et que Duhem établit également, plaide en faveur
d’une interprétation synonymique, et donc d’une appartenance à
la métaphysique.
17. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 52.
18. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 53.
19. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 54.
20. A.
BOYER, « Physique de
croyant ? Duhem et l’autonomie de la science », Revue
Internationale de Philosophie, n° 182, mars 1992, p. 319.
21. A.
BOYER, « Physique de
croyant ? Duhem et l’autonomie de la science », p. 322.
22. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 45.
23. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 45.
24. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 46.
25. Voir
aux pages 10
et 16 du
présent ouvrage.
26. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, chapitre III, p. 52-56.
27. Cela
ne veut pas dire que la philosophie scientifique de Duhem au sens
large soit uniquement positive, et qu’elle ne conduit pas à la
métaphysique, ce que nous verrons en détail aux chapitres .
et . Par
ailleurs, on comprend mieux cette distinction si l’on remarque que
la seconde partie de « Physique de croyant » ‒
qui traite amplement de l’aspect métaphysique de la philosophie
duhémienne ‒ ne
répond pas directement à Abel Rey, contrairement à la première
partie.
28. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 51.
29. Voir
J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre
Duhem, p. 350.
30. P.
DUHEM, TP, p. 10.
32. À
ce sujet, voir l’Annexe
à la page 158
du présent ouvrage. M.
Puech se sert de plusieurs
passages pour appuyer son propos.
33. M.
PUECH, « L’histoire des sciences selon Duhem, une
crypto-théologie de la Providence », p. 3 (il s’agit ici de
la pagination du document pdf mis en lien, et non de la revue, que
nous n’avons pas pu consulter). Étrangement, le continuisme
historique de Duhem, l’amenant à une conception unitaire de la
rationalité, ne se concilie pas bien avec les premières remarques
de M. Puech, lequel voit en Duhem un certain appui du relativisme
culturel. S’il y a emprunt de celui-ci sur la pensée de Duhem, il
faut vraiment que ce soit un emprunt superficiel !
34. M.
PUECH, « L’histoire des sciences selon Duhem, une
crypto-théologie de la Providence », p. 4.
35. M.
PUECH, « L’histoire des sciences selon Duhem, une
crypto-théologie de la Providence », p. 4. Sans doute veut-il
dire par là que cet effet caricatural n’a pas d’autre origine
que Duhem lui-même.
36. C’est
bien ce qu’indique l’un de ses articles publié en 1896 :
« L’évolution des théories physiques du XVIIᵉ
siècle jusqu’à nos jours ».
37. Sur
ce point, voir J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme
problématique de Pierre Duhem, p. 104, p. 293 et p. 304.
38. M.
PUECH, « L’histoire des sciences selon Duhem, une
crypto-théologie de la Providence », note 7, p. 4.
39. M.
PUECH, « L’histoire des sciences selon Duhem, une
crypto-théologie de la Providence », p. 15.
40. P.
DUHEM, TP, p. 48.
41. M.
PUECH, « L’histoire des sciences selon Duhem, une
crypto-théologie de la Providence », p. 7.
42. M.
PUECH, « L’histoire des sciences selon Duhem, une
crypto-théologie de la Providence », p. 15.
43. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 57.
44. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 57.
45. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 57.
46. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 59.
47. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 58.
48. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 62.
49. Voir
le titre du chapitre V de « Physique de croyant » :
« Notre système dénie à la théorie physique toute portée
métaphysique ou apologétique. »
50. J.-F.
STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem,
p. 298-302.
51. P.
HUMBERT, Pierre Duhem, p. 63.
52. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 57.
53. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 57.
54. Nous
nous référons à la théorie des ordres de Pascal, exposée dans
la pensée n°
308 (édition
Lafuma), où la confusion des ordres est présentée comme
« ridicule » ; ainsi qu’à la pensée n°
58, au sujet de la tyrannie : « La tyrannie consiste
au désir de domination universel et hors de son ordre. »
55. Il
faut ici se souvenir de la métaphore de la marée montante
qu’utilise Duhem en La Théorie physique (p. 58) :
les tentatives d’explication du réalisme se dressent avec panache
pour mieux s’effondrer piteusement ; et l’observateur qui
méconnaît le mécanisme profond de la théorie physique ne peut
pas manquer d’être surpris de la vanité des efforts
scientifiques, ce qui le conduit à l’idée de faillite de la
science, ou à la doctrine du positivisme comme à une réaction
prétendument salutaire. Un choix extrême entre dévaloriser la
science ou la métaphysique.
56. Voir
l’Annexe, à la page 159
du présent ouvrage.
57. Voir
l’Annexe, à la page 161
du présent ouvrage.
58. J.-F.
STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem,
p. 79-81. Il s’agit d’un passage d’une lettre de Duhem à
Joseph Récamier, son ami d’enfance, et retranscrite par Émile
Picard en 1921.
59. Voir
l’Annexe, à la page 160
du présent ouvrage.
60. P.
DUHEM, Sauver les phénomènes, p. 129.
61. P.
DUHEM, Sauver les phénomènes, p. 132.
62. P.
DUHEM, Sauver les phénomènes, p. 134.
63. Duhem
attribue par exemple à Nicole Oresme, maître de l’École
parisienne au XIVᵉ
siècle, la découverte de la loi du mouvement uniformément varié,
que l’on accorde généralement à Galilée. Voir P. DUHEM, L’aube
du savoir. Épitomé au Système du monde, Paris, Hermann,
1997, p. 511. Et aussi, Le Système du monde. Histoire des
doctrines cosmologiques de Platon à Copernic, tome XVIII,
Paris, Hermann, p. 297.
64. P.
DUHEM, Sauver les phénomènes, p. 140.
65. Il
parle aussi de cette date de 1277 dans deux de ses autres ouvrages
historiques : Le mouvement absolu et le mouvement relatif
et Études sur Léonard de Vinci. Pour les
références, voir J.-F. STOFFEL, Le phénoménalisme
problématique de Pierre Duhem, p. 244.
66. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 231.
67. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 233.
68. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 235.
69. Des
deux nombres qui précèdent chaque proposition, le premier indique
le rang qu’elle occupe dans le décret d’Étienne Tempier ;
le second, écrit entre crochets, en marque la place dans la
classification du R. P. Mandonnet.
70. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 345.
71. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 345.
72. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 396. Remarque importante,
Duhem nous indique lui-même que cette expression est un emprunt à
son ami et historien Albert Dufourcq. Cela pourrait aider à
dissiper quelque contradiction, en prouvant que le terme employé de
naissance, dans l’esprit de Duhem, n’était pas une
qualification précise et exempte d’extrapolation, mais faisait
surtout référence à l’importance du moment et renvoyait à son
collègue et ami ; car ce que Duhem entend surtout par là,
c’est la naissance en tant que possible de la science moderne. À
proprement parler, la
science moderne n’existait pas encore au temps des condamnations
de 1277, il restait à la construire. Voilà pourquoi Duhem indique
par la suite
une autre date, vraiment positive et constitutive de la physique
moderne, qui est celle
de la formulation de la théorie de l’impetus
par Jean Buridan.
73. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 549.
74. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 561-562.
75. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 586.
76. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 586.
77. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 586.
78. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 392.
79. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 392.
80. Nous
avons remarqué deux occurrences de la mention par Jean Buridan de
l’article 49
condamné par Étienne Tempier à Paris : voir P. DUHEM, L’aube
du savoir, p. 439-441 et p. 455-456.
81. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 440.
82. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 463.
83. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 463.
84. Voir
l’Annexe,
à la page 158
du présent ouvrage.
86. Voir
l’Annexe, à la page 164
du présent ouvrage.
87. P.
DUHEM, L’aube du savoir, p. 511.
88. Voir
l’Annexe, à la page 165
du présent ouvrage.
89. J.-F.
STOFFEL, Le phénoménalisme problématique de Pierre Duhem,
p. 307.
90. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 1, p. 57. L’italique est de nous.
91. H.-A.
AWESSO, « Le ‘‘réalisme émergent’’ de Pierre Duhem
comme expression d’une philosophie de la nature », p. 8.
92. H.-A.
AWESSO, « Le ‘‘réalisme émergent’’ de Pierre Duhem
comme expression d’une philosophie de la nature », p. 8-9.
93. Pour
le rappel, voir à la page 50
du présent ouvrage.
94. P.
DUHEM, « Physique de croyant », n° 2, p. 140-141.
95. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 2, p. 133. L’italique est de nous.
96. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 2, p. 133. Il n’y a qu’à lire le second
paragraphe pour s’en assurer, où Duhem parle successivement de
« système cosmologique » et de « philosophie de
la nature » qu’il place tous deux vis-à-vis des théories
physiques.
97. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 2, chapitre VII, p. 136.
98. P.
DUHEM, « La valeur de la théorie physique », p. 19.
99. Voir
à la page 72
du présent ouvrage.
100. Voir
à la page 75
du présent ouvrage.
101. P.
DUHEM, « Physique
de croyant », n° 2, p. 159. À
vrai dire, ce que dit Duhem, c’est qu’un incroyant peut admettre
la cosmologie d’Aristote ; mais alors, puisque la
classification naturelle est un préalable nécessaire à
la cosmologie (voir le chapitre suivant),
a fortiori
cet incroyant peut souscrire à
celui-ci.
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