I. 3. L’épistémologie
duhémienne
I. 3. a. Sens
commun et classification naturelle
L’hypothèse
que nous venons d’employer, et qui attribue à Duhem l’utilisation
de la méthode métaphysique pour justifier la classification
naturelle, nous a paru confirmée par la clarification qu’elle
amène sur une prétendue contradiction doctrinale. Mais on nous
rétorquera que cela ne peut suffire à l’établir certainement.
Aussi, il nous faut désormais étudier plus soigneusement comment la
méthode métaphysique est exploitée par le physicien et les
circonstances qui le doivent amener à user de cette méthode.
Duhem
reconnaît que l’étude logique de la méthode positive ne permet
pas d’en achever la compréhension, car elle ne peut rendre compte
de tous ses principes. Dans un article intitulé « Quelques
réflexions sur la science allemande », Duhem établit en
citant Pascal une distinction qui s’avère cruciale :
« Les
principes se sentent, les propositions se concluent, » a dit
Pascal, qu’il faut toujours citer lorsqu’on prétend parler de la
méthode scientifique. En toute science qui a revêtu la forme qu’on
nomme rationnelle, la forme que, mieux encore, on appellerait
mathématique, il faut, en effet, distinguer deux tactiques, celle
qui conquiert les principes, celle qui parvient aux conclusions.
La
première tactique, selon Duhem, est du ressort de l’esprit de
finesse. La seconde, autrement appelée méthode déductive, emprunte
le talent de l’esprit géométrique. Or, la science ne peut se
passer de l’une de ces facultés et s’appuyer exclusivement sur
l’autre, sans quoi elle pourvoirait à sa ruine. Les deux sont
nécessaires, et Duhem fustige leur excès respectif. En écrivant
« Quelques réflexions sur la science allemande », Duhem
s’en prend à cette manière de concevoir ‒ pour lui, trait
caractéristique des Allemands ‒ qui exige de tout démontrer, tout
déduire, et tout définir ; car la pleine certitude ne peut se
présenter ‒ à l’esprit allemand ‒ autrement. À nouveau,
Duhem se réfère à Pascal, et cite De l’esprit
géométrique : « Contre cet ordre [celui de la
géométrie] pèchent également ceux qui entreprennent de tout
définir et de tout prouver, et ceux qui négligent de le faire dans
les choses qui ne sont pas évidentes d’elles-mêmes. »