jeudi 10 septembre 2015

Les principes de la contre-Révolution

Qu’est-ce donc que la contre-Révolution ? Combien en ont déjà entendu parler ? Quels sont ceux qui, de nos jours, peuvent définir, situer, détailler le courant contre-Révolutionnaire, énoncer ses grands principes et ses origines profondes ? Qui, en un mot, saurait se le représenter assez clairement pour en avoir une compréhension authentique et précise ?
Il est naturellement difficile, au milieu de la multitude des pensées pourtant classifiées en divers et nombreux courants, de s’y retrouver. La clef, c’est de pouvoir déchiffrer les rapports que ceux-ci entretiennent les uns aux autres, afin d’en établir la carte adéquate. Sous cet aspect, l’idée de la Révolution constitue le point névralgique par excellence. La simplification s’ensuit lorsqu’on applique son examen sur les rapports profonds et essentiels de ces courants. Ainsi l’on peut apparenter libéralisme et socialisme, prétendument ennemis jurés, comme s’abreuvant à la même source, c’est-à-dire le dogme révolutionnaire.
Dans le but de mener à bien l’esquisse que nous voulons donner de la pensée contre-Révolutionnaire, il nous faudra d’abord montrer ce qu’est foncièrement la Révolution, puis expliciter les principes dont elle se fait l’adversaire.

Ceux-là qui voit en la Révolution un unique événement historique n’y ont rien compris. La Révolution est permanente, elle est un état d’esprit, ce que d’autres appelleraient une idéologie. Elle fut avant 1789, et achemina les esprits jusqu’à cette date, de même qu’elle fut après et propagea jusqu’à affermir sur ceux-ci son hégémonie. De ses revendicateurs comme de ses patients, elle inspire chacune des actions politiques. Qu’ils se complaisent ou ne voient pas même leur carcan, ils agiront, certes diversement, mais dans un même but qui les dépasse. Serviteurs plus ou moins volontaires, mais de quoi au juste ?
« Un appel fait à toutes les passions par toutes les erreurs. » : telle est la cinglante définition que Louis de Bonald donne de la Révolution. C’est bien ce que nous allons voir.
Tout le monde s’entend pour reconnaître que la philosophie des Lumières, si elle n’en fait elle-même partie, est au moins un des principaux ferments de la Révolution. Suite à la Renaissance et aux succès éclatants des sciences, le rationalisme fut en vogue et l’on commença à idolâtrer la raison humaine. S’il n’y eut pas que des rationalistes parmi les Lumières, l’idée générale fut bien d’affirmer l’indépendance de l’homme vis à vis de la tradition et de la Religion, et tout fut jugé bon pour parvenir à cette fin. Le rationalisme eut la commodité de ne pas se passer de Dieu dans un premier temps, tout en refusant catégoriquement la moindre explication non rationnelle. Inéluctablement, d’un Dieu relégué à une place abstraite et de plus en plus inconfortable, ce dans un système philosophique où l’homme régnait en maître, l’on passa aisément à l’affranchissement total. Le déisme engendra l’athéisme, parce qu’en lui-même résidait déjà ce principe : échapper au mieux à la Révélation chrétienne.1 Avec Kant, ce fut la caution définitive pour fuir toute métaphysique ; l’on n’expliquera désormais plus le monde qu’à partir de l’homme. S’il faut un mot pour réunir ces diverses philosophies en une, pour définir la philosophie de la Révolution, le Marquis de la Tour du Pin nous le livre : « L’individualisme, c’est la Révolution. »
Qu’est-ce que l’individualisme sinon le pire des mensonges, l’orgueil ? Orgueil pour la créature de fuir son Créateur, orgueil pour le serviteur de négliger son Maître. L’insurgé, dans son aspiration de l’absolu et au regard de laquelle il ne pouvait supporter sa propre misère, préféra s’enclaver, s’isoler radicalement afin de ne plus être irrité d’aucune vue extérieure. En sorte que reportant sur lui toute son attention, il se crut absolu et tout-puissant dans cet espace personnel. Débarrassé de sa crainte et de sa faiblesse, contrôlant parfaitement l’ensemble de son territoire, progressant même parcelle après parcelle. La science pouvait enfin s’émanciper de la métaphysique : le comment ne s’embarrasserait plus du pourquoi. D’où vient cet homme ? Où est-ce qu’il va ? Ces questions désormais étaient pour lui dénuées du moindre sens.

Bien peu de gens conçoivent les méfaits de la Révolution2, d’où il vient que de cette ignorance, il méconnaissent aussi la pensée contre-Révolutionnaire. C’est en établissant donc les erreurs à l’origine des principes révolutionnaires, que nous pourrons amener à la connaissance et à la justification de notre cause !


Offensive contre la Famille


La Révolution dans son essence même s’attaque à la Famille. La conception révolutionnaire de la société politique suggère que l’individu en est l’élément irréductible, ce qui par définition supplante la société domestique, la Famille. L’individu étant la mesure de tout, il fut facile de porter les lois politiques jusque dans la Famille ; leur intrusion n’étant plus à craindre, puisque sous cet aspect la Famille n’est à considérer que comme un ensemble de rapports et intérêts entre individus membres de la société. Pour exemple, les restrictions quant au testament, comme le partage égal imposé à la succession et qui fit beaucoup de mal à l’agriculture3. Cette ingérence dans la Famille amena logiquement à envisager les enfants comme la propriété même de la République, selon le mot fameux de Danton ! D’où la transformation de l’Instruction nationale en ladite Éducation nationale. Ainsi la République se propose de se substituer peu à peu à la Famille, ce dans le but de faire des enfants avant tout de bons citoyens4, c’est-à-dire bien sûr selon ses vues et ses idées – révolutionnaires il s’entend. « Ce n’est pas Dieu seulement, dira la Tour du Pin, c’est la famille qu’elle (la Révolution) a chassée de l’école des enfants du peuple, en ne permettant plus aux pères de famille de choisir ni la personne ni l’enseignement du maître auquel elle les oblige à confier leurs enfants. » La Famille ne peut qu’apparaître comme une barrière pour une société voulant s’appliquer à chaque individu, il suffit qu’elle ne reconnaisse pas le pouvoir révolutionnaire pour devenir l’écueil de celui-ci.
La Révolution donc élabora le divorce, et il est demeuré dans les esprits qu’il vaut mieux dissoudre une union malheureuse, plutôt que de la vivre le restant de ses jours. En conséquence, la Famille déchoit, elle devient la résultante de l’union incertaine et passagère de deux personnes. Si la Famille passe, quelle raison de s’appuyer sur elle ? Ne s’arrêtant pas là, l’autorité paternelle sera bientôt évincé au profit d’une confusion des rôles entre l’homme et la femme. De la sorte, celui qu’on nomme encore Chef de famille perd le franc usage de ses devoirs en faveur d’un droit individuel – ce qui signifie hors de tout rapport social –, universel et désincarné. Comble de la déchéance, il perdra finalement son rôle même qui lui permet de représenter sa Famille par sa personne. Enfin, il ne fait aucun doute que ce qu’on appellera plus tard « libération de la femme » procède de l’héritage révolutionnaire.

Comme on doit s’y attendre, les principes contre-Révolutionnaires font montre de l’exact inverse. Louis de Bonald nous dit : « L’État ne doit voir l’homme que dans la famille. » Ce qui signifie que là où il voit l’homme, il aperçoit du même coup la Famille. Pour atteindre l’homme, pour lui rendre un quelconque bien, l’État passera donc par ce domaine, la Famille, dont le rôle est véritablement d’abriter, d’accompagner, et de magnifier l’homme. Le contre-Révolutionnaire tient alors la Famille pour la cellule sociale qui fait le fondement de la société. Pour lui la société politique est organique, c’est-à-dire composée de corps sociaux, et n’est surtout pas constituée d’individus déracinés – que l’on conçoit isolément. Par conséquent, son but immédiat est le service des multiples Familles qui vivent en son sein, et le bien de tous les hommes se pose en corollaire. La charge du Chef de famille fait qu’en s’élançant dans le monde, celui-ci ne représente non pas son unique personne, mais sa Famille entière. D’ailleurs, cet oxymore que figure une société individualiste ne peut prendre pied dans la réalité. L’état qu’a produit la Révolution, tout en ayant l’apparence de celui de société, ne réalise rien de telle. Ainsi, l’on saisit qu’en s’attaquant à la Famille, l’on agresse la société entière.
Quant au divorce, quoi de mieux que de laisser notre place à l’admirable éloquence de Bonald : « Serments de rester toujours unis, sacrés engagements que l’amour et l’innocence croient éternels, vous n’êtes point une illusion ! La nature vous inspire à tous les cœurs épris l’un de l’autre ; mais, plus forte que la nature, et d’accord avec elle contre nos passions, une loi sainte et sublime vous avait ratifiés ; et, arrêtant pour toujours le cœur de l’homme à ces sentiments si purs, hélas ! et si fugitifs, elle avait donné à notre faiblesse le divin caractère de son immutabilité. Et voilà le législateur du divorce qui a espéré dans notre inconstance, et abusé du secret de nos penchants. Sa triste et cruelle prévoyance est venue avertir le cœur de ses dégoûts, et les passions de leur empire. Comme ces esclaves qui se mêlaient au triomphe des conquérants, pour les faire souvenir qu’ils étaient hommes, il vient, mais dans des vues bien différentes, crier à la vertu, aux jours de ses joies les plus saintes, qu’elle est faible et changeante, non pour la fortifier, mais pour la corrompre ; non pour lui promettre son appui, mais pour lui offrir ses criminelles complaisances. »
À ne considérer rien qu’humainement, il tient d’une évidence que le divorce n’apparaît point comme la solution aux malheurs et difficultés du Mariage. Ces maux ne viennent bien souvent que de ce qu’on ne s’est pas sérieusement engagé, et que l’on méconnaît cruellement son propre état. Mais pousser l’homme dans ses plus sombres appétences, de le jeter au plus bas de sa faiblesse, à qui viendrait une si criminelle pensée ? Bonald aboutit en répondant à ceux qui restent dupes de leurs illusions : « Faut-il dissoudre la famille, pour ménager de nouveaux plaisirs à ses passions (celles de l’individu), ou de nouvelles chances à son inconstance, et corrompre tout un peuple, parce que quelques-uns sont corrompus ? »
En un mot, la Famille comme unique garante de l’homme et de son lignage, est la juste unité sociale. C’est elle qui le forme, le poli, et le prépare au monde extérieure. En cela elle mérite toute protection et tout dévouement de la part de la société politique.


Assaut contre la Patrie


Qu’est-ce au juste que la Patrie ? L’homme avisé parlera de la terre de nos Pères, non pas que du seul territoire, mais de tout ce qui fut aussi d’eux édifié en participation à la société : et quel incommensurable héritage !
Il n’y eut peut-être pas d’événement où l’on déclama autant sur la Patrie que la Révolution. Cependant, la façon dont on a méconnu le sens et la portée de ce mot ne fut pas moins extraordinaire. Les révolutionnaires ont fait perdurer la Patrie dans leurs paroles et leurs discours, pour mieux l’anéantir dans les faits ! Car la puissance même de l’œuvre révolutionnaire, c’est la table rase du passé. Il ne fut pas un instant où l’on eut l’intention de réformer l’ancien régime – garder ce qui a fait ses preuves, corriger les erreurs – non, on était plutôt déterminé à l’abolir tout de bon. Or pour comprendre cette aberrante volonté, il faut remonter aux principes qui l’inspirent.
Le premier, c’est que le rationalisme érige l’idéologie au-dessus de l’expérience historique. Dans cette conception, il suffit de forger la bonne construction intellectuelle, puis de l’appliquer infailliblement à la réalité. Pour exemple, la triple séparation des pouvoirs : pensée au départ abstraitement, elle deviendra par la suite une règle indispensable et irrécusable chez l’esprit vulgaire.
Le second, dont le chantre le plus illustre fut le théoricien du contrat social, pose que l’homme est naturellement bon, et que son état de nature ne correspond pas à celui d’état social. En conséquence, la société est faite pour la préservation des intérêts individuels et ne saurait aller à l’encontre de ceux-ci. Ainsi sombre-t-elle vers la loi du plus fort ; et l’anarchie faisant suite, côtoie ou l’oligarchie – une poignée d’individu dominant le plus souvent par l’argent et imposant leurs propres intérêts –, ou ce qu’on appelle totalitarisme – l’État, en l’absence de corps intermédiaires, écrase et rabaisse au même niveau tous les individus. De surcroît, si l’homme devient mauvais c’est parce que la société le corrompt, qu’elle le pousse au vice. D’où la déclaration universelle des droits de l’homme : Primauté de l’individu sur l’ensemble des sociétés humaines. De là naquit une nouvelle sorte d’idéaux, les faux dogmes de 1789 disait Le Play, dont la liberté et l’égalité conçues tout en abstractions prirent la plus large place. La démocratie, c’est-à-dire le principe de la souveraineté populaire, composa naturellement le gouvernement le plus convenable à cette philosophie.

La contre-Révolution s’attache fermement à son passé et à l’héritage qui lui a été fait. « Les opinions, les théories, les systèmes, nous explique Antoine de Rivarol, passent tour à tour sur la meule du temps, qui leur donne d’abord du tranchant et de l’éclat, et qui finit par les user. » Or l’on reconnaît les principes impérissables à ce qu’ils persistent dans l’épreuve du temps. Leur usage répété, bien loin de les user, ne sert qu’à mieux les établir. La politique en effet, se doit d’être historique pour ne pas devenir utopique. Le Marquis de la Tour du Pin à son tour nous le confirme : « La société s’était formée et développée successivement à travers les siècles, et sa constitution, suivant une expression connue, avait crû suivant des coutumes à peine codifiées, mais inscrites ès cœurs de tous les français. » La Révolution, qui prétendait fournir enfin au pays sa constitution, n’a en réalité travaillé qu’a détruire cette dernière. Et la Tour du Pin de continuer : « Ainsi ce n’est pas avant 1789, comme on l’a dit alors, que la France n’avait pas de constitution ; c’est depuis qu’elle n’a plus d’éléments constituants organisés politiquement. Il faut donc rasseoir la représentation à la fois sur le domicile et sur la profession, en un mot, faire le contraire de ce qu’a fait la Révolution. La Révolution a systématiquement divisé, séparé, dissocié les éléments de la cité. Rapprochons, réunissons, reconstituons-les amoureusement, et nous aurons rendu sa vigueur à la nation. L’œuvre est assez belle pour qu’on s’y attache lorsqu’on l’a aperçue. »
Cette notion de constitution écrite, inventée, résidant non dans la forme que prend le pays charnel, mais dans les esprits de quelques théoriciens fanatiques qui pensent imposer à la réalité leur vision des choses, voici comment Joseph de Maistre l’expose : « Une constitution qui est faite pour toutes les nations n’est faite pour aucune. » Pour le contre-Révolutionnaire, il existe des lois sociales que l’homme doit découvrir. Celles-ci à l'instar des lois physiques trouvent leur élaboration dans la nature, et il est vain à l’homme d’en revendiquer et la création et l’emprise.
La philosophie de l’ordre n’avance pas que l’homme, compris hors la société, soit bon. Au contraire, elle assure que la société formant l’homme, c’est elle qui le rend bon, le perfectionne, le civilise. Ainsi, et c’est à Bonald que nous avons encore recours : « Il faut faire la société bonne, si l’on veut que l’homme soit bon ; il faut qu’à son entrée dans la société il y trouve, établi par les lois, pratiqué dans les mœurs, enseigné par les écrits, rappelé par les arts, autorisé, accrédité par tous les moyens dont la société dispose, tout ce qui peut aider un naturel heureux ou fortifier une âme faible, et continuer une bonne éducation ou réformer une éducation vicieuse. » L’homme, qui doit tout à la société ne lui apporte que bien peu, malgré son génie. Et même ce qu’il lui cède dépend de ce qu’elle lui donne. C’est pourquoi l’homme n’a que des devoirs en rapport à la société, mais ce qui est devoir pour lui est droit pour les autres. Bonald termine sa considération : « La société est établie pour l’avantage général, et non pour le bien particulier, puisqu’il faut au contraire que le particulier souffre pour le bien général. Les sophistes qui ont traité de la société n’y voient que l’individu et Pupendorff lui-même dit que les lois sont faites pour l’avantage du chef : erreur grossière, puisque le chef doit le premier s’immoler pour le salut de ses membres. Toute société, dans ce sens, est une république, res publica, la chose de tous, et non la chose de chacun (non plus que le gouvernement de tous), et alors dit J.-J. Rousseau, « la monarchie elle-même est une république ». Dans le siècle dernier, les bons auteurs appelaient toute forme d’État république ; ce n’est que dans ce siècle qu’on a donné exclusivement cette dénomination au gouvernement populaire, de tous les États celui où chacun est le plus occupé de soi et où tous sont le moins occupés des autres. »
Le principe démocratique place le pouvoir en chaque individu, ce qui fait que sa portée ne dépasse pas celle de l’individu et ne convient aucunement à la société. De même, la loi trouve son expression dans la volonté générale, elle-même qui est la somme de volontés particulières et désunis. Et l’on observe le droit subordonné à la loi, alors que ce devrait être l’opposé.
Dans la monarchie organique soutenue par la pensée contre-Révolutionnaire, le pouvoir est social, son domaine concerne les institutions auxquelles il s’applique. Ainsi il convient à la société et aux hommes vivant dans cette société. En outre, la loi sociale n’est pas la loi du nombre, celle-ci n’est pas sujette à la démagogie et à la dictature de l’opinion. Elle tient en revanche des bonnes mœurs et coutumes, qui ont l’assurance des peuples et l’empire des siècles. Il est remarquable en cela qu’une institution comme les corporations – qui produisait jusqu’à lors des effets excellents parmi les hommes et la société – fut abolie à la Révolution par la loi Isaac Le Chapelier : interdisant sous peine de mort ce genre de rassemblement !
Finalement, ce fut au nom du dogme abstrait de la liberté que l’on détruisit les nombreuses et réelles libertés existantes et formées au fur des années par la société. De même qu’au nom de l’égalité de tous, l’on désorganisa les fonctions sociales si habilement et harmonieusement liées entre elles : abolissant les charges et dignités qui donnaient pour devoir le service des plus petits, avilissant même les métiers qui autrefois faisaient la valeur de la France et la fierté de leurs agents, les paysans et artisans.
Pour faire court, la Patrie est une œuvre qui jamais ne s’achève : construite sur le passé, nous en prenons la suite jusqu’à ce que nos fils nous succèdent. Elle n’est pas un ouvrage de la pensée mais du temps. La minutie se fait nécessité comme la précipitation doit être bannie. Et il ne suffit pas d’un homme, il faut la coordination des efforts de toute la société à travers les époques ! C’est pourquoi une vue politique n’embrassant pas à la fois ce qui fut, ce qui est, et ce qui doit être, – c’est-à-dire la tradition – ne peut ni discerner, ni guider le caractère d’un peuple, encore moins parvenir à la constitution du pays. Voilà en quoi la dynastie seule assure aussi adéquatement que dignement la fonction du gouvernement.


Attentat contre la Religion


L’épreuve ici, pour l’homme averti un minimum, n’est pas de montrer que la Révolution tourmenta la Religion, mais comment elle le fit. Bien sûr, ce ne fut pas les protestants, et encore moins les juifs, qui eurent à pâtir de la Révolution ; l’ennemi explicitement visé était l’Église, et donc les Catholiques occupant alors la grande majorité de la population. Il serait autrement intéressant de voir que le protestantisme – ou religion de l’individu – et certains juifs5 influents n’ont pas été pour rien dans le développement des idées « nouvelles » et de la philosophie individualiste qui préluda à leur avènement.
On pourrait nous rétorquer que les événements tels la constitution civile du clergé, les persécutions religieuses, l’expulsion des congrégations6 sont des excès imprévus de la Révolution. Seulement un excès vient d’une circonstance extérieure viciant le principe d’origine. Alors que ces conséquences ont simplement fermentées dans les esprits sinon complètement athées du moins particulièrement irréligieux de l’époque. Le germe en apparence si différent de la fleur qui éclot, n’est rien de moins que celle-ci à un état antérieur, ayant déjà en sa puissance la floraison à venir.
Religieusement, on aura du mal à comprendre la Révolution si on omet ce principe : qu’elle tend à s’éloigner le plus possible de la religion native de la France, la Religion catholique. La mutation ne fut pas si radicale, et bien que le culte de l’Être suprême institué par Robespierre honnissait l’athéisme, la suite logique fut que l’athéisme se propagea d’abord dans la loi, puis dans les mœurs, enfin à la société entière, ou plutôt ce qu’il en restait – la religion n’étant admise que dans la sphère domestique outrageusement fracturée, et réellement permise que dans la conscience personnelle qui n’était tout de même pas universellement abusée. Sous le prétexte de liberté de conscience, la Révolution proclama l’égalité des cultes ; il s’agissait inconcreto de réduire l’influence de l’Église et d’anéantir la religion qui fut jadis nationale.
Là où la Révolution fut une aubaine pour les juifs, les protestants, les franc-maçons, elle fut l’ennemie déclarée des Catholiques. Elle fut dès son début à l’origine de l’émancipation juive, et chose remarquable, ceux-ci ont même conservés une prière pour la République. François Pillon, philosophe républicain de l’école néo-criticiste et collaborateur de Charles Renouvier, protestant et franc-maçon, nous divulgue quelques traits intéressants : « L’obstacle à la républicanisation de l’âme française, c’est le catholicisme. Il n’est pas possible que la France conserve la République si elle n’a pas la force de rompre avec le catholicisme, de soustraire ses femmes et ses enfants à l’influence de cette religion. Le catholicisme, religion monarchique, religion de sujets, ne peut être la religion des libres citoyens d’une démocratie. Ou la France républicaine se décatholicisera, sortira de l’ancien régime spirituel, ou le catholicisme lui rendra tôt ou tard la monarchie. » « Comme le catholicisme est une religion monarchique, le protestantisme mérite le nom de religion républicaine. J’entends qu’il est en parfaite harmonie avec des institutions fondées sur le principe démocratique et électif. » « Oui, la réforme est la mère de la démocratie moderne, comme l’Église papiste est la mère des royautés et des aristocraties. » Il en ressort nettement que l’héritage révolutionnaire, le fondement de la République, justifie d’autant plus qu’il nécessite l’éradication du Catholicisme.
« Le mal est religieux, la révolution est religieuse, le remède est religieux, nous ne guérirons que religieusement », telles sont les paroles d’Antoine Blanc de Saint-Bonnet. Que la Révolution soit religieuse, cela ne signifie pas qu’elle soutient une religion particulière, mais qu’à l’instar de la politique, son rôle fut un renversement complet dans le domaine religieux, c’est-à-dire du Catholicisme qui imprégnait la société d’alors. En vrai, la Révolution est irréligieuse au sens de l’Église ; plus que l’individualisme, l’irréligion est sa source. Ironiquement, cette irréligion prit rapidement des allures de religion, ce fut le culte de l’homme et de sa raison en place de Dieu. Outre le culte, l’inimaginable ferveur, les clubs pour églises, les jacobins pour ministres, la constituante pour concile, les philosophes du siècle pour saints, les droits de l’Homme pour Décalogue : tout participa à ériger l’irréligion en système avec pour but ultime de fabriquer l’homme nouveau. L’homme éclairé, enfin affranchi de la Religion. Mais ce qui fit de cette œuvre révolutionnaire plus un délire qu’une religion, ce fut le désordre absolu, l’anarchie totale, les destructions innombrables et les bains de sang qu’elle appela.

L’erreur funeste de la Révolution, dira le contre-Révolutionnaire, c’est d’avoir méconnu le besoin spirituel d’un peuple et voulu tout l’inverse, traitant en superstition ce qu’il avait de plus cher et qu’il voyait comme le fondement de son histoire, de sa cohésion. En effet, sans Religion, sans baptême de Clovis et d’elle-même, la France n’eut jamais connu les événements historiques qui firent sa grandeur. Certes, nul pays ne se forme sans un peuple, une terre, et une langue. De même, il ne naît pas de civilisation sans une religion. La religion est à la fois le ciment et le levain des peuples. Si les fausses religions peuvent avoir des effets haïssables sur les personnes, leur principe les sauvent pour ce qui est de la société, en cela elles valent mieux que l’athéisme. De plus, la morale qui n’a pour guide la Religion, tout comme la loi sans justice, se flétrit et dégénère inéluctablement.
La Révolution en attentant à la Religion, s’en prend immanquablement à la civilisation entière. De son fait, les peuples ont été réduits à la plus abjecte barbarie : les révoltes, guerres civiles, guerres révolutionnaires puis napoléoniennes, et finalement mondiales, toutes portent en héritage la Révolution. Fatalement, une fois la Religion ruinée, on a beau avoir la fraternité pour devise, il ne sert de rien si l’on a oublié le grand précepte qui incite à aimer son prochain, son frère comme soi-même. Et sans notre divin Père constamment à l’esprit, il est difficile, sinon impossible, de se souvenir de ses frères. Voilà comment de division en division, l’ordre construit méticuleusement sur le passé est vaincu d’une étincelle par le chaos moderne.
L’histoire ne nous cache pas que l’irréligion partage si facilement le trône à l’individualisme. Or chacun sait que la noblesse de l’homme réside en la cause dont il se fait le serviteur. Et c’est la défense d’une cause qui ne lui appartient pas, mais qui devient sienne, qui à juste titre est valeureuse. Rien de plus vil au contraire, pour celui qui ne pense qu’à lui-même, le néant d’abnégation qui le compose. Tout homme ressent le désir de servir, le désir du sacrifice de sa personne au nom d’un intérêt supérieur, ainsi accepte-t-on la transcendance. Malheureusement, tous n’ont pas cette clairvoyance, et quelque bien de la terre sont pour certains un frein, vanités dont ils s’aveuglent et qui les retiennent en eux-mêmes. En revanche, celui pour qui aucune excuse n’autorise la suffisance, juge avec mépris tout ce qui ne le porte pas au-delà de sa personne. Il sait qu’en mettant son dévouement au service de Dieu, l’humanité en est la bénéficiaire, et lui-même voit son accomplissement en cet acte éminent.
Les uns ne peuvent vivre pour eux-mêmes, tandis que les autres ne souffriraient pas le moindre temps pour autrui. Or tous les hommes ayant la capacité d’aimer Dieu, cette différence vient que le démon d’orgueil occupe les seconds, détournant l’amour qu’ils éprouvent naturellement et le retournant sur leur misérable personne : voici précisément l’horreur de l’irréligion.
« La révolution a commencé par la déclaration des droits de l’homme, et Bonald de prédire : elle ne finira que par la déclaration des droits de Dieu. » En effet, proclamer les droits de Dieu, voilà bien le but qu’il faut se donner. Car il n’y a vraiment que les droits de Dieu qui puisse garantir le bien être des hommes, en même temps que la justice et la paix. Sans reconnaître de Maître, sans une autorité véritablement supérieure, les hommes sont des enfants égoïstes qui se chamaillent entre eux, ne soupçonnant pas la portée de leurs actes. Mais pour autant qu’ils se rappellent la loi du Père, alors de la crainte et de l’amour pénétrés, ils sauront se maintenir dans la sagesse.
En résumé, si l’on peut dire de la Religion qu’elle doit être contre-Révolutionnaire, c’est parce que la Révolution s’est foncièrement établie comme une contre-Religion, et qu’elle demeure invétérée en ce principe !


De tout ceci il reste que – selon la considération de Joseph de Maistre –, l’on peut dire sans exagération de la Révolution qu’elle est satanique. Attaquant le Père, plus belle image de Dieu sur terre, pour abattre la Famille ! Assassinant le Roy, Lieutenant7 du Christ, afin de subvertir la Patrie ! S’acharnant au possible sur l’Église, la bien-aimée de Dieu, dans le dessein de détruire la vraie Religion ! Impossible de ne pas s’apercevoir qu’une volonté tout à fait démoniaque tente de mettre entre l’homme et Dieu un gouffre infranchissable.

Au fil de cet esquisse, il est apparut que ce n’est pas la contre-Révolution qui est contre la Révolution mais précisément l’inverse. Cela signifie que les principes contre-Révolutionnaires ne naquirent nullement en opposition à la Révolution ; ils furent en fait établis bien avant et solidement à travers l’histoire, si bien qu’il serait plus juste d’appeler traditionalisme ou réalisme politique la position philosophique de la contre-Révolution.
Pour cet article, il nous a été nécessaire de laisser bonne part aux citations afin d’étayer nos dires. Néanmoins, il n’est pas raisonnable de tenir la pensée d’un auteur à quelques phrases ; nous aurions aimer citer plus et plus longuement mais là n’était pas notre dessein, et c’est pourquoi nous achèverons sur la recension chronologique des principaux maîtres de la contre-Révolution : L’Abbé Augustin Barruel, Joseph de Maistre, Antoine de Rivarol, Louis de Bonald, Mgr Jean-Joseph Gaume, Frédéric Le Play, Juan Donoso Cortés, Louis Veuillot, Antoine Blanc de Saint-Bonnet, le Cardinal Pie, René de la Tour du Pin, Mgr Henri Delassus, Albert de Mun, Mgr Ernest Jouin, Charles Maurras, Firmin Bacconnier, Jacques Bainville.
À ceux-ci l’on pourra ajouter comme étant du même lignage et de la même tradition, bien qu’étant antérieur à la Révolution : Jacques-Bénigne Bossuet, Saint Thomas d’Aquin, et même Aristote, – pour ne mentionner que les plus connus.

Pour la Vérité !
Lars Sempiter.


1. « Un déiste est un homme qui n’a pas encore eu le temps de devenir athée. » Louis de Bonald.

2. La plupart s’imagine que la Révolution est venu à cause de ce que le peuple souffrait et de ce qu’il était oppressait : c’est se tromper terriblement. Le témoignage de Bonald, contemporain de l’événement révolutionnaire, nous éclaire et nous déleurre pour autant qu’on l’ait lu.

3. Les paysans, en étant obligés de partager également leurs biens et leurs terres à leurs enfants, n’eurent bientôt plus assez de surface pour cultiver dignement.

4. La place que prit ce terme de « citoyen » au cours de la Révolution est tout à fait révélateur de l’esprit d’individualisme qui anime la société révolutionnaire.

5. Un juif éminent du XIXème siècle, James Darmsteter, ne craint pas de reconnaître que : « Le juif est le docteur de l’incrédule. Tous les révoltés de l’esprit viennent à lui dans l’ombre ou à ciel ouvert. Il est à l’œuvre dans l’immense atelier de blasphèmes du grand empereur Frédéric et des princes de Souabe ou d’Aragon. C’est lui qui forge tout cet arsenal meurtrier de raisonnements et d’ironie qu’il léguera aux sceptiques de la Renaissance, aux libertins du grand siècle. Le sarcasme de Voltaire n’est que le dernier et retentissant écho d’un mot murmuré six siècles auparavant dans l’ombre du ghetto, et plus tôt encore, au temps de Celse et d’Origène, au berceau même de la religion du Christ. »

6. Avant la Révolution, de nombreuses congrégations religieuses parsemaient la France, s’occupant de bien des œuvres mais particulièrement de l’instruction. Contrairement à ce que l’on nous fait accroire, même les plus simples des gens recevaient le nécessaire d’instruction, qui bien sûr n’était pas le même pour tous, et cela gratuitement. On comprend que la Révolution pour avoir la mainmise sur les enfants et les futurs « citoyens », profita largement de cette expulsion. L’illettrisme fut terrible pendant la période qui suivit, et il fallut attendre longtemps avant que naissent de nouvelles institutions scolaires...

7. Le mot lieutenant désigne la personne qui tient lieu de chef en l’absence du chef. Si le Roy est vénéré, c’est parce que son rôle est d’agir comme le Christ agirait pour nous : être le bon Pasteur, le bon Chef. Malheureusement, c’est du fait que le devoir du monarque chrétien – le don de sa personne à la société en vue du bien commun – fut délaissé par eux, que tant de maux frappèrent la Chrétienté.

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